C’est un hommage à l’un des plus grands joueurs de kora qui va être rendu. « Toumani Diabaté a fait connaître notre instrument dans le monde entier, rappelle Mamoudou Cissoko, organisateur du Fest Kora 2024, un concert qui se tiendra vendredi 13 décembre à La Marbrerie de Montreuil (Seine-Saint-Denis), à partir de 19 heures. Par sa technique exceptionnelle, ses mélodies et sa profondeur musicale, il a inspiré des dizaines de musiciens et laissé une œuvre considérable. »
Toumani Diabaté est décédé le 19 juillet à Bamako des suites d’une courte maladie, selon sa famille. Sa disparition, survenue à l’âge de 58 ans, a provoqué une onde de choc sur le continent et suscité une vive émotion chez les artistes africains. « Mon confident, mon pilier, mon guide, mon meilleur ami, mon cher papa s’en est allé à jamais », avait écrit son fils Sidiki, également joueur de kora, sur Facebook. De Bamako à Dakar en passant par Conakry, les plus grands artistes d’Afrique de l’Ouest lui ont ensuite rendu hommage : Salif Keïta, Youssou N’Dour, Oumou Sangaré, Ballaké Sissoko…
Au cours du concert organisé par l’association Kora Follart, onze artistes vont interpréter leurs propres titres puis jouer ensemble des extraits du répertoire de Toumani Diabaté. « On se doit de ne jamais l’oublier, explique le Guinéen Ba Cissoko qui sera présent sur scène. Il était mon ami, mon frère, un grand virtuose. Nous nous sommes rencontrés la première fois à Bamako puis on s’est vus dans le monde entier. C’était à chaque fois une rencontre musicale très forte. »
Griots mandingues
« Grâce à Toumani, la kora s’est ouverte aux femmes, assure la Sénégalaise Senny Camara. Il y a peu d’hommes qui nous encouragent à jouer de cet instrument (…). Il m’avait envoyé un message émouvant après la sortie de mon album car c’est un chemin qui n’est pas évident. Toumani était toujours sincère dans sa démarche. »
Le « roi de la kora », cette harpe-luth des djélis, les griots mandingues de l’Afrique de l’Ouest, a fait résonner les 21 cordes de son instrument dans les plus grandes salles de la planète. L’origine de son instrument est entourée de nombreuses légendes. L’une d’elles raconte que la première kora fut offerte par les esprits de la montagne de Kabou, dans l’actuelle Guinée-Bissau, il y a près de 700 ans.
Tiramakhan Traoré, un général de Soundiata Keïta (1190-1255), fondateur de l’empire du Mali, serait parti vers Kabou avec Djélimady Oulé, son griot, afin de ramener une femme cachée dans une caverne. En lançant un filet pour l’attraper, les hommes auraient remonté une demi-calebasse recouverte d’une peau de bœuf surmontée d’un manche tendu avec 22 cordes.
Le griot s’en serait servi comme d’un instrument et la jeune femme, émerveillée par la beauté des notes produites par ce nouvel instrument, serait sorti de la caverne. C’est en hommage à Djélimady Oulé que, après sa mort, on aurait retiré une corde à l’instrument initial qui en compte donc aujourd’hui 21, bien qu’il existe quelques variantes puisque certaines koras sont montées avec un nombre de cordes variable de 22 à 28 notamment en Casamance, le sud du Sénégal.
La kora dès l’âge de 5 ans
Dans la famille Diabaté, le poids de la tradition est fort. On raconte que l’ancêtre de Toumani aurait reçu l’instrument originel d’un général de Soundiata Keïta qui suivait son maître, et contait ses exploits guerriers aux populations. Huit siècles plus tard, Toumani Diabaté n’hésitait pas à se confronter à différents univers musicaux tout en respectant la grande tradition griotique.
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Toumani Diabaté a appris la kora dès l’âge de 5 ans, entouré de sa mère, Nama Koïta, chanteuse, et de son père Sidiki. Ce dernier jouait régulièrement au palais présidentiel de Koulouba, à Bamako, lorsque des hôtes de marque tels que des chefs d’Etat y étaient conviés.
« Il ne faut pas rester figé sur la tradition », aimait répéter le fils Toumani à ses interlocuteurs. Il enregistrera notamment deux albums avec le guitariste bluesman et chanteur malien Ali Farka Touré (1939-2006), né près de Tombouctou, et récompensés d’un Grammy Award.
D’autres collaborations musicales viendront enrichir la carrière de Toumani Diabaté qui joua avec les Américains Taj Mahal et Dee Dee Bridgewater, le Britannique Damon Albarn, le Français Matthieu Chedid, l’Islandaise Björk, le groupe espagnol de flamenco Ketama… Sans oublier un featuring avec le London Symphony Orchestra. Toute une vie artistique placée sous le signe du respect de la tradition et de sa nécessaire ouverture à l’éclectisme. « Les artistes vont interpréter trois des morceaux les plus célèbres de Toumani Diabaté et retrouver ses riffs », assure Mamoudou Cissoko. Une minute de silence est également prévue.
Quelques albums incontournables de Toumani Diabaté :
Kaïra, album solo (Hannibal Records, 1988)
New Ancient Strings, avec Ballaké Sissoko (Hannibal Records, 1999)
In the Heart of the Moon, avec Ali Farka Touré (World Circuit, 2005)
The Mandé Variations, album solo (World Circuit – Harmonia Mundi, 2008).
Toumani & Sidiki, père et fils (World Circuit, 2014)
Kôrôlén, avec le London Symphony Orchestra (BMG Rights Management, 2021)