L’ancien dictateur gambien, Yahya Jammeh, en exil en Guinée équatoriale, sera-t-il un jour jugé pour les crimes qui lui sont imputés ? Dimanche 15 décembre, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a fait un pas en ce sens, en approuvant la création d’un tribunal spécial en Gambie.
« Je suis très heureuse que l’engagement, le travail que nous avons accompli ces dernières années ait porté ses fruits. Un pas de géant a été fait vers la justice », s’est aussitôt réjouie la présidente de l’alliance des associations de victimes, Sierra N’dows.
En 2022, suite aux recommandations de la Comission vérité, réconciliation et réparations (TRRC), les autorités gambiennes ont recensé les crimes qui auraient été commis durant les vingt-deux années de dictature Jammeh (1994-2017). Parmi les faits reprochés à l’ancien dirigeant figurent l’exécution de près de 250 personnes par des agents de l’Etat, des disparitions forcées, des viols, des actes de torture, des détentions arbitraires.
Le fantasque tyran se voit également accusé d’avoir fait administrer de force un faux traitement contre le sida. Un recensement d’atrocités et de victimes qui serait partiel selon les estimations de Sierra N’dows. « La TTRC a enregistré 2 600 noms, rien que parmi ceux qui se sont manifestés pour faire leur déclaration », assure la militante. D’autres noms pourraient donc encore venir s’ajouter.
Aucun accord d’extradition entre Malabo et Banjul
Selon les nouvelles autorités gambiennes, soixante-dix anciens dignitaires, dont Yahya Jammeh, pourraient être poursuivis par ce tribunal mixte, composé de juges locaux et d’autres issus des pays de la Cedeao, si celui-ci voit le jour. Le procureur serait lui nommé avant même que le tribunal soit établi.
« Décider les contours du tribunal, rédiger les statuts et le faire accepter, c’était la partie facile. La partie difficile sera de financer, de faire établir et de faire fonctionner ce tribunal », rappelle le juriste américain, Reed Brody, qui s’est fait connaître dans la défense des victimes de régimes dictatoriaux.
Toutefois, une autre question primordiale reste en suspens. Celle de l’extradition de Yahya Jammeh de Guinée équatoriale, où le dictateur s’est exilé après sa défaite à l’élection présidentielle de décembre 2016, suite à un accord obtenu par les présidents guinéen et mauritanien de l’époque, Alpha Condé et Mohamed Ould Abdel Aziz. Il n’existe, à ce jour, aucun accord d’extradition entre Malabo et Banjul, mais Reed Brody évoque la signature par les deux Etats de la convention des Nations unies contre la torture, dont l’article 7 pourrait obliger ce transfert.
Reste qu’une éventuelle extradition de l’ancien satrape gambien vers son pays serait une remise en cause de l’accord ayant permis son départ du pouvoir et évité une prolongation de la crise. L’ex-président libérien Charles Taylor avait connu ce sort en 2006, trois ans après son départ négocié du pouvoir vers le Nigeria. Il a depuis été condamné à 50 ans d’emprisonnement par le tribunal spécial pour la Sierra Leone.
Toutefois, pour Reed Brody, ce précédent judiciaire n’a en aucun cas poussé les dirigeants à s’accrocher au pouvoir, par crainte de poursuites ultérieures. « La justice dissuade plutôt de commettre des atrocités et inspire la société civile et les victimes », juge-t-il.
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Pour celui qui s’est fait surnommer « le chasseur de dictateurs », l’objectif est aujourd’hui de poursuivre la voie engagée avec le procès d’Hissène Habré. En 2016, l’ancien président du Tchad avait été condamné au Sénégal à la perpétuité pour crimes contre l’humanité, avant de décéder cinq ans plus tard en prison.