Il y a un an, Yves-Marie Le Bourdonnec rendait son tablier. En février 2022, il décidait de transmettre son groupe à ses actionnaires-éleveurs et annonçait s’en tenir au rôle d’ambassadeur. La star des bouchers (et le boucher des stars) n’a pas été long à se remettre derrière le billot, mais ce n’est pas dans l’une des cinq boucheries qui portent son nom, sises dans les arrondissements chics de la capitale, qu’on l’a retrouvé.
Yves-Marie Le Bourdonnec, qui fut l’un des premiers, au début des années 2010, à prôner la primauté absolue de la qualité de la viande, à vanter le croisement des races bovines et à professer l’art de la maturation, découpe désormais araignée, bavette et faux-filet en Puisaye, dans la boucherie-charcuterie de Bouhy (Nièvre), commune de 460 habitants. Sa résidence secondaire se trouve à quelques kilomètres ; devenu salarié du groupe qu’il a fondé, dont il demeure la figure de proue même s’il n’est plus impliqué dans la gestion, il reconnaît ne plus avoir besoin de travailler dur pour gagner sa vie. Mais la boutique désespérait de trouver un repreneur et le chevillard d’élite s’est laissé attendrir. « Mes ex-associés me croient fou », confie-t-il.
On imaginait l’effet d’un classique syndrome post-Covid de l’urbain en rupture de ban, irrémédiablement attiré par le pays de Colette. Erreur. « Je suis un garçon de la campagne, mais j’aime bien Paris. Je fais un choix un peu égoïste : repartir de zéro, renouer avec ce que j’ai vécu à mes débuts. Et je suis servi : arrivé en juin, la fleur au fusil, je retrouve tous les emmerdements de celui qui démarre », s’amuse Yves-Marie Le Bourdonnec, tout en vérifiant le parfait alignement des plats de la vitrine réfrigérée.
Franc-manger populaire
Croque-monsieur (2,90 euros), langue de bœuf (5,50 euros), bouchée à la reine au ris de veau (3,90 euros), escargots de Bourgogne (8,40 euros la douzaine), pâté façon grand-mère (14,90 euros le kilo), … « Je ne fais rien de sophistiqué. » Le nouveau propriétaire de la boucherie-charcuterie de Bouhy dit cela avec un détachement qui ne trompe personne. Il passe des heures à préparer ses spécialités, ode au franc-manger populaire. « Je travaillais dans un groupe de cinquante salariés, avec un directeur financier, j’ai voulu tourner la page. J’étais trop loin du billot », s’excuse-t-il presque.
Ce n’est rien de dire que cet homme aime son métier. A 55 ans, il jubile de pouvoir enfin s’adonner aux joies simples de la charcuterie, spécialité qu’il a survolée dans sa jeunesse et qu’il embrasse désormais comme une passion trop longtemps contenue. Fabriquer du saucisson à l’ail lui procure un authentique sentiment de fierté. Il se lève à 4 h 30, a pris des cours de cuisine – « Je ne savais pas faire une béchamel » – et met à contribution les talents de son épouse, Betty, qui ne mangeait pas de viande lorsqu’elle l’a rencontré. « On n’a pas besoin de travailler, on est crevés mais on adore ça », résume-t-il. Le copain qui s’était proposé de se lancer avec lui dans l’aventure, lui, a lâché l’affaire au bout de deux mois.
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