Le Front national (FN, devenu le Rassemblement national, RN) est-il passé, en cinquante ans, du « compromis nationaliste », cette entente entre groupuscules d’extrême droite théorisée par l’écrivain antisémite Charles Maurras (1868-1952), au compromis tout court ? A l’approche d’une possible prise du pouvoir, à l’issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, la leader d’extrême droite Marine Le Pen affiche sa volonté d’adoucir sa méthode, afin de rassurer une France qui lui a toujours fait barrage. Une orientation qui tranche avec l’ADN confrontationnel du parti, entretenu pendant un demi-siècle. Une période durant laquelle le pouvoir n’a jamais véritablement été à portée de main.
Marine Le Pen ne renonce à aucun des fondamentaux xénophobes de son mouvement, qui dénonce les étrangers comme la source des maux du pays et les exclut du système de solidarité comme de l’accès à la citoyenneté. Mais plusieurs annonces de la leader d’extrême droite, ces derniers mois, dessinent une nouvelle manière de faire. La plus spectaculaire est son revirement sur le dossier de la Nouvelle-Calédonie, avec la promesse d’un nouveau référendum dans quarante ans. Ce changement de pied, sur un thème totémique du Front national, avait été précédé d’entretiens avec des représentants indépendantistes. Au Monde, Marine Le Pen avait dénoncé la « vision radicale » du projet du parti cofondé par son père et prôné une ligne « plus respectueuse, moins dogmatique, avec le souci de ne blesser personne ».
Sur deux sujets mettant le RN aux prises avec l’Union européenne, Marine Le Pen assure aussi au Monde ne pas vouloir entrer en confrontation avec la Commission européenne, mais plutôt négocier à Bruxelles et convaincre ses partenaires européens : qu’il s’agisse d’une réforme du règlement de l’espace Schengen, pour y réintroduire un système de visas intérieurs, ou de la baisse de la TVA à 5,5 % sur l’essence.
« Vision manichéenne »
Sur ce dernier point, qui deviendrait concret en cas d’accession de Jordan Bardella, le président du RN, à Matignon, elle précise : « Dans l’attente de négocier à Bruxelles l’autorisation de baisser la TVA sur le carburant à 5,5 % , nous l’abaisserons au taux intermédiaire autorisé, soit 15 %, et nous baisserons l’accise – en l’occurrence la TICPE [taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques] – du montant équivalent. » Il y a encore deux ans, elle assurait vouloir interpréter à sa manière les textes européens.
C’est un changement d’état d’esprit étonnant dans l’histoire du parti d’extrême droite. « Nous sommes un parti bonapartiste, ce n’est pas dans notre culture », admet le député RN du Pas-de-Calais sortant Bruno Bilde. Longtemps, le FN puis le RN ont démonisé l’Union européenne – or, on ne discute pas avec le diable. Comme l’a analysé la chercheuse Cécile Alduy, le parti divisait le monde en « deux camps antagonistes irréconciliables », assurant une bipolarisation plaçant le RN du côté du peuple et du bien. Dans Marine Le Pen prise aux mots (Seuil, 2015), la sémiologue, professeure à l’université Stanford (Californie), écrit : « Dans cette vision manichéenne, le combat politique est envisagé (…) comme une lutte essentialiste entre “patriotes” et “mondialistes” qui annule à l’avance tout débat, tout compromis, toute alliance. »
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