« Comme pris de vertige au seuil de Matignon, Jordan Bardella édulcore ses promesses économiques bien plus vite que Mitterrand et Chirac en leur temps »

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Promettez, promettez, il en restera toujours quelque chose. Cet aphorisme du philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626) sur la calomnie s’applique parfaitement aux engagements électoraux : s’il en reste toujours quelque chose, c’est bien qu’une partie du bagage programmatique a été abandonnée en cours de route. Surtout en économie, domaine privilégié de la procrastination et du reniement. A la veille des scrutins législatifs du 30 juin et du 7 juillet, étourdis par la valse des milliards dans laquelle nous entraînent le Rassemblement national (RN) mais aussi le Nouveau Front populaire (NFP), le naturel revient au galop.

Avec lui ressurgissent deux moments politiques où des projets de rupture avaient été abandonnés plus ou moins vite : le début des septennats de François Mitterrand, en 1981, et de Jacques Chirac, en 1995. Premier ministre d’Emmanuel Macron en cas de majorité absolue du parti d’extrême droite à l’Assemblée nationale, Jordan Bardella a-t-il retenu les leçons de leurs revirements post-électoraux ? Comme pris de vertige au seuil de Matignon, le voilà qui édulcore et réduit ses promesses comme peau de chagrin, bien plus vite que ces deux présidents de la Ve République.

Le socialiste voulait « changer la vie », titre d’un ouvrage qu’il avait publié en 1972, l’année de la signature du programme commun avec le PCF. En mars 1983, après de vifs débats au sein du gouvernement, il avait tourné le dos à sa politique de relance à contre-cycle et décrété la rigueur, présentée par le premier ministre, Pierre Mauroy, comme « l’austérité plus l’espoir ». Des années après son départ de Matignon, il rappellera justement que « plus de 90 % » des 110 propositions du candidat avaient été mises en œuvre (cinquième semaine de congés payés, revalorisation du smic, indexation des salaires sur les prix, retraite à 60 ans, impôt sur la fortune, nationalisations…). Las, la vie n’a pas changé, et si l’histoire a retenu la trahison plus que les acquis, c’est que 1983 a marqué la conversion de la gauche à l’économie de marché et à l’Europe.

Loi intangible de la politique

Chirac, lui, ne voulait pas « changer la vie », mais au moins « réduire la fracture sociale » dans une France rongée par le chômage. Fin 1994, devancé par Edouard Balladur dans la course à l’Elysée, il avait trouvé la martingale dans une note du démographe-anthropologue Emmanuel Todd. En réponse au « désarroi populaire », écrivait-il dans son programme « La France pour tous », « trop de responsables raisonnent sur des chiffres, pas sur des hommes. Or les chiffres en eux-mêmes n’expriment pas la gravité de la fracture sociale qui menace – je pèse mes mots – l’unité nationale ». Il fallait sortir de la « pensée unique » incarnée par Balladur et « inverser l’ordre des priorités » : la lutte contre le chômage avant la réduction des déficits.

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