« Tu partiras avec ta Fatma, pour toi fini le RSA (…), quand va passer Bardella, tu vas retourner chez toi, tu mettras ta djellaba, tu pourras prier toute la journée, tu commences à nous gonfler. » Voici quelques-unes des paroles de Je partira pas, une chanson interprétée par une voix synthétique diffusée, ces derniers jours, sur les réseaux sociaux. Accumulant des millions de vues sur X, TikTok, YouTube ou encore Facebook, cet hymne raciste et pro-Rassemblement national a notamment été partagé par quelques figures d’extrême droite, parmi lesquelles Eric Zemmour, Gilbert Collard (la vidéo a depuis été retirée de sa page) ou par le média Frontières (ex-Livre noir). L’association SOS Racisme, qui a affirmé avoir porté plainte pour incitation à la haine, mercredi 26 juin, déclarant que « ces propos inacceptables doivent être retirés immédiatement de toutes les plates-formes numériques ».
Les grands réseaux sociaux ont commencé à s’exécuter, jeudi. Sur TikTok, les vidéos les plus populaires relayant la chanson ont été supprimées et la plate-forme a confirmé à BFM-TV son intention de la bannir. Le Monde a toutefois constaté, jeudi dans l’après-midi, que le morceau était encore écoutable sur TikTok. Du côté de YouTube, la vidéo la plus vue a été supprimée « en raison d’une réclamation pour atteinte aux droits d’auteur envoyée par France Télévisions », peut-on lire en lieu et place du contenu. Pour illustrer les paroles de la chanson, cette vidéo avait en effet utilisé des images d’un reportage de France 2 sur les procédures d’expulsion. Sur Twitter en revanche, le morceau semble toujours circuler sans entrave.
Celui-ci est en ligne depuis le 21 juin au moins. L’autrice – ou auteur – originale semble être ClaudiaMariani2a, qui compte 16 000 abonnés sur TikTok et diffuse des contenus racistes, parfois à l’aide d’outils d’intelligence artificielle générative. La vidéo accompagnant la chanson montre une DJ, qu’elle surnomme Grazy-Girl, avec la mention « le tube de l’été 2024 ». En descriptif d’une de ses premières vidéos TikTok, diffusée en août 2023, elle écrivait : « Parce que le monde change il faut se marrer. Vidéos marrantes et actuelles face aux dangers journaliers que nous subissons. La meilleure façon de l’aborder c’est l’humour. Si ça fonctionne pas on passera à l’échelle supérieure. » Très active sur TikTok, Grazy-Girl s’est créée, en près d’un an, une petite communauté sur les réseaux sociaux en publiant régulièrement des montages vidéos alternant commentaires racistes, obsession pour l’islam et quelques contenus vantant son identité corse.
Le cri d’un homme
Son « humour » semble avoir trouvé son public : celui de sympathisants et de personnalités d’extrême droite, qui ont relayé la chanson sur différentes plates-formes. Mila Orriols, qui s’était fait connaître en 2020 comme victime d’un harcèlement massif après des propos critiques envers l’islam et qui s’est depuis rapprochée des sphères d’extrême droite, a laissé entendre qu’elle s’apprêtait à sortir sa propre version de la chanson, dans une vidéo consultée 1,6 million de fois sur X. Le titre a également été partagé à l’international par des comptes populaires d’extrême droite, anglophones, hispanophones ou encore polonais, générant des millions de vues.
Le titre, Je partira pas, fait référence au cri d’un homme filmé dans un avion, présenté comme un Algérien expulsé de France. La séquence est en ligne depuis 2017 au moins et avait déjà fait l’objet de détournements moqueurs. ClaudiaMariani2a avait par exemple publié fin 2023 plusieurs vidéos musicales fondées sur cette supplique.
Le phénomène viral autour de cette chanson en rappelle un autre, venu d’Allemagne cette fois : la vidéo de jeunes fêtards clamant « Ausländer raus ! » (« les étrangers dehors ! ») sur l’air de L’Amour toujours, du DJ italien Gigi D’Agostino, a commencé à être largement partagée en mai, jusqu’à dépasser les frontières du pays. Le chant a été entendu en France dans les rues d’Albi le soir de la fête de la musique. Et jeudi, le maire de Rouen a interdit une soirée intitulée « Ausländer raus », organisée dans un bar identitaire de la ville.
Tout phénomène viral engendre inévitablement des réponses. A la chanson Je partira pas, une autre vidéo a par exemple rétorqué, sur un autre air mais toujours par l’intermédiaire d’une voix synthétique : « Wallah on restera, désolé Bardella (…) dans ce pays on a tout reconstruit, on a changé toute votre vie, on travaille on cotise on paie nos impôts, les étrangers ont porté votre fardeau. » Avec une visibilité bien moindre.