Le visage de François Bayrou, vingt-huitième premier ministre de la Ve République, est familier aux Français. Son parcours est connu : élu local du Béarn, ministre de l’éducation nationale dans les années 1990, candidat malheureux aux présidentielles de 2002, 2007 et 2012, et faiseur de roi de l’élection de 2017 – l’histoire retenait jusque-là qu’il avait fait entrer Emmanuel Macron à l’Elysée en se retenant de se lancer une quatrième fois dans la course à la tête de l’Etat ; il s’en était suivi pour lui un éphémère passage Place Vendôme comme garde des sceaux. Le voilà, sept ans plus tard, forçant la main au locataire de la Rue du Faubourg-Saint-Honoré pour qu’il l’installe Rue de Varenne. Contrairement à beaucoup de celles et ceux qui ont obtenu des maroquins ministériels sous Emmanuel Macron, François Bayrou ne lui doit politiquement rien. Mais, s’il prend désormais le titre de chef du gouvernement, la réalité de son poste est doublement biaisée par la volonté du chef de l’Etat et par la lecture toute personnelle des institutions de ce dernier.
Sixième premier ministre d’Emmanuel Macron, François Bayrou a entre les mains des dés pipés. Pipés, car le chef de l’Etat refuse, depuis le mois de juillet, de traduire en actes le résultat des élections législatives de l’été, lors desquelles la majorité des Français a exprimé à la fois son refus de voir l’extrême droite au pouvoir et sa volonté d’une alternance par rapport aux politiques conduites depuis sept ans. Une nouvelle fois, la coalition arrivée en tête à l’issue de ce scrutin (le Nouveau Front populaire) n’a pas été appelée par le chef de l’Etat à former un gouvernement, au mépris de la logique institutionnelle et malgré les leçons qu’il aurait dû tirer d’une censure historique, la deuxième seulement de l’histoire de la Ve République.
Or les insatisfactions exprimées par le maire de Pau à l’égard de quelques-unes des décisions présidentielles ne sauraient masquer une évidence : bien plus qu’un prolongement du macronisme, François Bayrou en est son origine. Il s’est, dès le début des années 2000, emparé de la posture « ni de gauche ni de droite » qu’Emmanuel Macron a ensuite faite sienne. L’actuel président de la République a théorisé sur cette base un « progressisme » censé disqualifier tous les choix divergents par rapport à sa propre ligne, notamment par des procès en irresponsabilité hâtivement et présomptueusement faits aux projets politiques défendant le rétablissement d’une justice fiscale, le modèle social français et le renforcement des moyens et de la présence des services publics. Autrement dit, François Bayrou, qui a placé des membres de son parti politique dans tous les gouvernements depuis 2017, ne peut nullement incarner l’alternance. Ce qui a une conséquence simple : François Bayrou premier ministre ne tire aucunement sa légitimité des urnes.
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