Depuis quinze jours, une nouvelle coalition des peurs s’est cristallisée. Elle ne vise plus d’abord le Rassemblement national (RN) et son programme nationaliste et xénophobe, mais le Nouveau Front populaire, accusé de tous les maux et de toutes les inepties. Des intellectuels, des économistes, des patrons, des responsables publics, des consciences morales l’affirment désormais sans ambages : les « extrêmes » se rejoignent et, à tout prendre, mieux vaudrait s’accommoder de trois années de RN au pouvoir plutôt que de soutenir le programme d’une gauche réformatrice et redistributrice.
Les voix qui alimentent cette coalition des peurs, en écho à la stratégie politique désastreuse suivie par le gouvernement depuis de longs mois, portent une responsabilité historique majeure. Celle qui consiste à banaliser et à minimiser les effets d’une arrivée au pouvoir imminente de l’extrême droite, au nom du danger supérieur qu’incarnerait la présence de La France insoumise au sein du Nouveau Front populaire.
L’unité réalisée en quelques jours à peine après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin, a d’abord suscité de l’espoir, puis réactivé un vieux réflexe historique que l’on avait un peu oublié, celui de la peur qu’inspire la gauche lorsqu’elle défend un programme… de gauche. Chaque fois qu’elle est parvenue, depuis la fin du XIXe siècle, à présenter un front uni, rassemblant de manière aussi large que possible ses sensibilités réformistes et radicales, une triple peur s’est dressée pour faire barrage à la gauche : celles de l’impôt, du chaos économique et de la guerre civile.
Alléger les taxes
La peur fiscale que la gauche suscite remonte au XIXe siècle, à une époque où radicaux et socialistes étaient encore dans l’opposition. En décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte se fit élire président de la IIe République en dénonçant « l’impôt des 45 centimes » que le gouvernement provisoire avait dû faire adopter dans l’urgence pour répondre à la crise des finances publiques. Trois ans plus tard, le 2 décembre 1851, il abattait la République par la force.
Après l’installation de la IIIe République dans les années 1870, radicaux et socialistes plaident en faveur de la création d’un impôt progressif sur le revenu, pour alléger les taxes qui pèsent sur la consommation des classes populaires. La grande bourgeoisie libérale et conservatrice s’offusque et se mobilise tous azimuts. Taxer les revenus et les patrimoines (on parle à l’époque de taux compris entre à peine 2 % et 5 %…) serait une menace pour les libertés, voire pour la « civilisation ». En protégeant ses intérêts au nom de la défense des petits propriétaires paysans et des commerçants (un schéma classique, que l’on retrouve à l’œuvre aujourd’hui), la grande bourgeoisie parvint à ses fins : l’impôt sur le revenu fut sans cesse repoussé, de 1848 jusqu’à la première guerre mondiale.
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