« La généralisation du vote RN traduit un malaise social qui dépasse la question du racisme »

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Luc Rouban est directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique et travaille au Centre de recherches politiques de Sciences Po. Ses travaux portent sur la sociologie des élites, l’évolution de la démocratie représentative et de la vie politique. Il a publié La Vraie Victoire du RN (Presses de Sciences Po, 2022).

Ces élections ont-elles redessiné la sociologie du vote pour le Rassemblement national ?

Il y a globalement une généralisation sociologique du vote pour le Rassemblement national (RN). A part quelques grandes villes, le parti arrive partout en tête. Extension qui touche les classes moyennes et supérieures, cadres compris : cette généralisation traduit un malaise social profond, qui dépasse largement la question de la xénophobie et du racisme, qui caractérisait le Front national.

Peut-on distinguer des facteurs communs du vote RN au sein de catégories de population si diverses ?

Le premier ressort du vote est un sentiment de déclin social aux multiples facteurs : la sensation qu’un diplôme n’assure plus la mobilisation sociale d’autrefois ; la perte de valeur sur le marché du travail ; un déclin perceptible jusqu’au sein de la cellule familiale, avec le sentiment de vivre moins bien que la génération au-dessus et la crainte que ce soit encore pire pour celle d’en dessous. Tous ces phénomènes de dégradation du rapport au travail ou à la mobilité traduisent un scepticisme à l’égard du modèle méritocratique républicain.

Le deuxième ressort du vote RN est, selon moi, une demande d’autorité, non pas au sens d’un autoritarisme à la tête du pays, mais d’un retour de la proximité et de l’efficacité de l’appareil de l’Etat dans l’exercice de ses missions. Justice, sécurité, santé, transports, réseaux routiers : la confiance des Français a baissé non pas dans les services publics en tant que tels, mais dans la capacité des structures étatiques à changer la réalité quotidienne. Emmanuel Macron symbolise, à ce titre, l’échec de celui qui se présentait, en 2017, comme un libéral efficace, un manageur.

Catégorie socioprofessionnelle, âge, diplôme, lieu d’habitation : le vote RN est-il débarrassé de tout déterminisme ?

La sociologie du vote RN ne repose plus sur une structuration en matière de classes ou de catégories socioprofessionnelles, mais sur une structuration en matière de classement subjectif de l’individu dans la société. L’électeur ne se définit plus en fonction des groupes définis par l’Institut national de la statistique et des études économiques, mais selon une représentation de sa propre situation, de sa dynamique sociale. Le vote RN relève à ce titre moins d’un « mécontentement » ou d’une « colère », comme on le résume parfois, mais d’une analyse négative de sa propre trajectoire, que la personne se sente méprisée, pas assez reconnue, ou qu’elle s’estime victime d’une précarisation généralisée, d’un manque de visibilité sur l’avenir.

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