Livre. Le temps est-il mûr ? L’heure du bilan a-t-elle vraiment sonné ? Une entreprise aussi ambitieuse et complexe que la réconciliation mémorielle autour de l’Algérie, l’un des grands desseins d’Emmanuel Macron, peut-elle déjà rendre des comptes après n’avoir été pleinement lancée qu’au printemps 2021 ? Ces trois années semblent pourtant suffire à l’historien Sébastien Ledoux et au politiste Paul Max Morin pour qualifier d’« impasse » cette tentative. On serait plus enclin à penser que la dynamique esquissée n’a pas encore épuisé tous ses effets. L’avenir le dira.
Si le jugement critique des auteurs de L’Algérie de Macron. Les impasses d’une politique mémorielle (Presses universitaires de France, 296 pages, 20 euros) peut paraître prématuré, la déconstruction à laquelle ils soumettent l’« objet politique » bâti par M. Macron autour de la guerre d’Algérie vaut assurément le détour. MM. Ledoux et Morin décryptent très finement l’« investissement considérable » du chef de l’Etat sur la mémoire d’un conflit traumatique dont il ambitionne de « clôturer le deuil ». La mission réparatrice qu’il se fixe relève à ses yeux du « statut » de la percée de Jacques Chirac sur la Shoah (déclaration de 1995 sur la rafle du Vel’ d’Hiv, où il reconnaît pour la première fois la responsabilité de la France dans la déportation et l’extermination des juifs). Plus qu’ailleurs, l’apôtre du nouveau monde de 2017 en fait le chantier de sa méthode disruptive l’imposant comme un « roi thaumaturge » appliqué à « panser les plaies de la société », commentent les auteurs.
A cette fin, M. Macron élabore un cadre narratif fondé sur un double postulat. Le premier est celui du déni qui aurait caractérisé le rapport à la guerre d’Algérie, avant qu’il ne s’en saisisse dans une originalité inédite. L’« oubli », l’« impensé » et le « refoulé », selon ses propres mots, l’auraient précédé dans ce désert mémoriel. MM. Ledoux et Morin contestent une telle prétention à l’exclusivité, en remontant le fil de six décennies de politiques publiques où se sont succédé mesures « catégorielles » et gestes de « mémorialisation » à l’adresse des publics de rapatriés, d’anciens combattants et de harkis. M. Macron a lui-même bâti sur ce socle, dont il semble pourtant éluder l’existence.
Le second présupposé présidentiel est celui de la « pathologisation » des mémoires fracturées et rivales censées métastaser à partir de ce déni collectif. Il en résulte, aux yeux du chef de l’Etat, un risque de dislocation du lien national, dont il perçoit les prodromes dans les soubresauts protestataires de la jeunesse, notamment d’origine immigrée. Or le diagnostic est faux, objectent les auteurs. « Des expériences d’injustice, lorsqu’elles sont répétées, peuvent produire du ressentiment, écrivent-ils, mais ce dernier a très peu à voir avec le passé colonial de la France. »
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