Devant des centaines d’étudiants galvanisés, le premier ministre sénégalais Ousmane Sonko s’en est pris durement jeudi 16 mai à l’attitude de Paris lors de la répression contre son camp sous l’ancien président Macky Sall. Il a ainsi accusé la présidence Macron d’avoir incité à la « persécution ».
Chantre d’un souverainisme et panafricanisme social, M. Sonko a délivré dans un hémicycle de l’université de Dakar et sous les acclamations répétées son discours le plus long et le plus politique depuis sa nomination en avril après la victoire tonitruante des siens à la présidentielle.
Il a précisé s’exprimer en tant que chef de parti et non du gouvernement, à l’occasion d’une conférence sur les relations entre l’Afrique et l’Europe avec Jean-Luc Mélenchon, lui aussi virulent contempteur du président français.
Devant un public conquis et bouillant, il s’est livré à une vive critique de l’action passée et récente de l’Occident, de l’Europe et de la France, y compris pendant les trois années de confrontation avec l’ancien président Macky Sall. Après les « relations léonines au détriment des Africains », il a affirmé la volonté d’une coopération « fondée sur le respect mutuel et la reconnaissance des aspirations légitimes de chaque nation à la souveraineté ».
Macron accusé d’avoir incité « à la répression et à la persécution »
Devant M. Mélenchon dont il a salué le soutien constant, il est revenu sur le bras de fer que lui et son parti ont livré au pouvoir de 2021 à 2024 et qui a causé des dizaines de morts et des centaines d’arrestations. « Vous n’avez jamais entendu le gouvernement français dénoncer ce qui s’est passé », a déclaré M. Sonko. Il a accusé M. Macron d’avoir accueilli et « félicité » son homologue sénégalais « au pire [moment] » de la répression. « C’est une incitation à la répression, une incitation à la persécution et à l’exécution de Sénégalais qui n’avaient [commis d’autre] crime que d’avoir un projet politique », a-t-il déclaré. Beaucoup de gouvernements européens sont restés dans un « mutisme approbateur », a-t-il dit.
M. Sonko a lui-même été emprisonné plusieurs mois et empêché de concourir à l’élection présidentielle de mars 2024 dont il était donné comme l’un des favoris. Il s’est fait remplacer par son second Bassirou Diomaye Faye qui l’a emporté haut la main au premier tour contre le candidat désigné par M. Sall.
M. Sonko a aussi dénoncé la « néocolonisation » à l’œuvre selon lui dans les relations entre l’Occident et l’Afrique. « Nous y avons presque cru lorsque le président Macron déclinait la nouvelle doctrine africaine de l’Elysée, cette nouvelle doctrine qui devait constituer au refus de tout soutien politique à des régimes autoritaires et corrompus. Ce n’est pas ce qui s’est passé au Sénégal », a-t-il déclaré.
Un discours contre la présence militaire française
M. Sonko s’était signalé en tant qu’opposant par ses sorties contre l’emprise politique et économique que continuait à exercer selon lui l’ancienne puissance coloniale. Il a réaffirmé jeudi que son propos ne visait pas le « peuple français avec lequel nous n’avons aucun problème », mais « l’élite gouvernante actuelle ».
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Il a assuré que ses positions ne changeaient pas avec l’accession au pouvoir. Mais cette accession « nous amènera à collaborer avec tous les gouvernements, y compris l’Etat français et le gouvernement de Monsieur Emmanuel Macron ». La coopération devra prendre en compte la souveraineté du Sénégal dans le domaine monétaire, mais aussi sécuritaire.
« Nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles l’armée française bénéficie toujours de plusieurs bases militaires dans nos pays et sur l’impact de cette présence sur notre souveraineté nationale et notre autonomie stratégique », a-t-il déclaré. La France a en effet des implantations militaires à Dakar. « Je réitère ici la volonté du Sénégal de disposer de lui-même, laquelle volonté est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal », a-t-il poursuivi. « Ceci ne remet pas en question les accords de défense », a-t-il précisé.
Il a aussi fustigé les doubles standards de l’Occident et de ses alliés africains vis-à-vis des Etats du Sahel théâtres de putschs depuis 2020 (Mali, Burkina Faso, Niger). « Ceux qui aujourd’hui condamnent des régimes considérés comme des régimes militaires ou dictatoriaux sont pourtant enclins à aller dans d’autres pays qui ne sont pas démocratiques lorsque leur intérêt s’y trouve pour négocier du pétrole et du marché », a-t-il dit. Il a jugé « inadmissibles » les sanctions prises contre les juntes. « Nous ne lâcherons pas nos frères du Sahel », a-t-il ajouté.
La défense de l’homosexualité, un risque de « casus belli » avec l’Occident
Dans ce même discours, il a également prévenu les Occidentaux que leur activisme en faveur des homosexuels et des minorités sexuelles pouvait devenir une source de tension. « Les velléités extérieures de nous imposer l’importation de modes de vie et de pensée contraires à nos valeurs risquent de constituer un nouveau casus belli », a prévenu M. Sonko. « La question du genre revient régulièrement dans les programmes de la majorité des institutions internationales et dans les rapports bilatéraux, même souvent comme une conditionnalité pour différents partenariats financiers », a dit M. Sonko sous les acclamations.
L’homosexualité est largement considérée comme une déviance au Sénégal où la loi réprime d’un emprisonnement d’un à cinq ans les actes dits « contre nature avec un individu de son sexe ». M. Sonko a pressé les Occidentaux de respecter les spécificités culturelles de son pays et d’autres, et a fait valoir qu’il n’y avait « jamais eu de persécution de ces communautés ».
M. Sonko a dit respecter le fait que, selon lui, la défense des minorités sexuelles soit « érigée en débat prioritaire au sein des opinions occidentales ». Mais dans des pays comme le sien, cela soulève « énormément de tensions et d’incompréhensions tant elle met face à face des cultures, des civilisations et des systèmes politiques à la vision diamétralement opposée », a-t-il ajouté. Il a déclaré que la défense de ces minorités pouvaient même nourrir un « sentiment anti-occidental dans beaucoup de parties du monde » davantage que les divergences politiques.
Le premier ministre a affirmé que « la France fai[sai]t de la stigmatisation de la religion musulmane son exercice favori, au point d’interdire à des musulmans de s’habiller comme ils l’entendent ». Mais il a estimé que les Sénégalais devaient s’y adapter « si cela est conforme à la culture, aux modes de vie et aux options des Français ». Il a rappelé que lui-même était polygame alors que la polygamie est interdite en France.