« Acharnement » contre Marine Le Pen et « atteinte à la démocratie » : les réquisitions du parquet dans le procès des assistants parlementaires du RN ont suscité, mercredi 13 novembre, une vague de protestations à droite de l’échiquier politique, jusqu’à l’ancien ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. En réaction, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer cette interférence politique dans un processus judiciaire toujours en cours – le délibéré est attendu pour le début de 2025.
Le parquet a requis cinq ans de prison, dont deux ans de prison ferme aménageables, 300 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité contre Marine Le Pen, la jugeant au « centre » d’un « système organisé » visant à faire du Parlement européen la « vache à lait » du RN. Si le tribunal suit le parquet, la peine d’inéligibilité, assortie d’une exécution provisoire, serait applicable dès la condamnation, y compris en cas d’appel.
La cheffe de file du Rassemblement national, triple candidate à la présidentielle (2012, 2017 et 2022), voit dans l’appel à son inéligibilité une intention de stopper son ascension politique. « La seule chose qui intéressait le parquet, c’était Marine Le Pen, pour pouvoir demander son exclusion de la vie politique (…) et puis le Rassemblement national, pour pouvoir ruiner le parti », a affirmé la cheffe des députés RN au sortir des réquisitions.
Confortée par l’ascension constante du RN ces dernières années, y compris après la dissolution de l’Assemblée nationale, qui a suivi les européennes, en juin, Marine Le Pen vise désormais 2027. A deux ans et demi de la présidentielle, le parquet manifeste « une volonté de priver les Français de la capacité de voter pour qui ils souhaitent », a-t-elle affirmé.
« Le parquet n’est pas dans la justice : il est dans l’acharnement et la vengeance à l’égard de Marine Le Pen », renchérit le président du RN, Jordan Bardella, sur X. « Ses réquisitions scandaleuses visent à priver des millions de Français de leur vote en 2027. C’est une atteinte à la démocratie », a-t-il assuré.
Gérald Darmanin en soutien
Tout comme le président du parti, beaucoup d’élus RN ont publié des photos d’eux avec Marine Le Pen sur X sous le hashtag #JeSoutiensMarine. Le vice-président du RN, Sébastien Chenu, a abondé jeudi, dénonçant « un parquet au service d’une mission politique ». « Dans quel pays vivrions-nous dans lequel on empêcherait à la principale femme politique (…) de pouvoir se présenter ? » Son collègue député Jean-Philippe Tanguy a dénoncé « des réquisitions quasi-fanatiques » sur France 2.
Même indignation parmi les autres composantes de la droite nationaliste et de l’extrême droite française. « Le cours de la démocratie française ne doit pas être à nouveau confisqué aux électeurs », a lancé Eric Ciotti, évoquant le précédent de François Fillon, qui avait dû renoncer à se présenter à la présidentielle en 2017 à la suite de soupçons d’emploi fictif de son épouse – une affaire pour laquelle il a été définitivement reconnu coupable en avril. « Le destin démocratique de notre nation doit se jouer dans les urnes et non dans les prétoires politisés », a martelé l’ancien président des Républicains, qui a rallié en juin le camp de Marine Le Pen.
« Quel scandale ! Marine Le Pen doit pouvoir se présenter à l’élection présidentielle », a plaidé, pour sa part, Sara Knafo, députée européenne du parti de M. Zemmour, Reconquête !, le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan y voyant aussi une volonté de « museler le peuple français ».
Rare voix hors du champ de l’extrême droite à se prononcer, Gérald Darmanin a aussi jugé que « combattre Mme Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs ». « Si le tribunal juge qu’elle doit être condamnée, elle ne peut l’être électoralement, sans l’expression du peuple », a-t-il déclaré sur X, en appelant à ne pas « creuser » plus « la différence entre les “élites” et l’immense majorité de nos concitoyens ».
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Rappelons que l’inéligibilité des élus en cas de condamnation a été votée par les représentants du peuple dès 1994. La loi prévoyant de punir le détournement de fonds publics d’une peine d’inéligibilité obligatoire figure dans l’article 131-26-2 du code pénal, dont la dernière version en vigueur date de 2022.
« Entorse au principe de séparation des pouvoirs »
Le ministre de la justice, Didier Migaud, a rappelé sur CNews que « la justice est indépendante et les magistrats sont eux-mêmes indépendants, c’est un principe constitutionnel », avant d’insister : « Le juge ne se substitue pas au pouvoir politique. Il y a une indépendance entre les pouvoirs. »
Ces prises de position allant à l’encontre de l’Etat de droit ont été ouvertement critiquées, notamment par le patron du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, sur X, qui y voit un « gros clin d’œil gênant de celui qui feint de plaindre celle dont il rêve de récupérer l’électorat » et dénonce une « grosse entorse au principe de séparation des pouvoirs ».
Le président Les Républicains (LR) de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a critiqué jeudi le « grand numéro d’hypocrisie » joué par l’extrême droite. « La démocratie, c’est aussi le respect de la justice », a-t-il lancé, rappelant qu’en 2004, au moment du procès d’Alain Juppé dans le dossier des emplois fictifs du RPR, où le potentiel candidat à la présidentielle avait été touché par une peine d’inéligibilité, Marine Le Pen avait déclaré : « Il y en a marre de ces élus qui détournent de l’argent. »
M. Darmanin « n’aurait pas dû dire ça », a estimé cet adversaire historique de la triple candidate à la présidentielle, pourtant proche de l’ancien ministre de l’intérieur. « Ou alors il va au bout de sa pensée et il dépose une proposition de loi pour supprimer l’inéligibilité », a-t-il avancé sur RTL. « Mais en attendant, la loi existe, elle s’applique à tous et personne n’est au-dessus des lois. »
« La loi s’applique à tout le monde », a renchéri sur Public Sénat la ministre chargée des relations avec le Parlement, Nathalie Delattre, qui a trouvé « choquant de commenter une décision de justice ».
Le commentaire de Gérald Darmanin pourrait faire l’objet de poursuites en vertu de l’article 434-5 du code pénal, qui précise qu’il est possible de commenter une décision de justice, sauf si l’auteur « cherche à jeter le discrédit, publiquement (…) dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ».