« On ne peut pas se permettre d’être en désaccord », pour les jeunes cadres, l’épreuve des discussions politiques à la machine à café

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Amir (tous les prénoms ont été modifiés) a pris ses précautions avant de décrocher : il s’est installé dans une salle insonorisée mais préfère encore parler tout bas. « Je n’ai pas envie de faire de vagues, ni qu’on me stigmatise ou qu’on me donne des trucs ingrats », souffle-t-il. A 24 ans, cet étudiant en école de commerce, franco-algérien, est en stage à la Société générale depuis quelques mois.

A la suite de l’annonce de la dissolution, Amir a senti le vent tourner dans son open space, frappé d’observer « la banalisation du RN [Rassemblement national] parmi une population très aisée et éduquée ». D’ordinaire, son équipe échangeait « surtout des banalités ». « Les discussions sont plus électriques désormais », raconte celui qui a voté pour le Nouveau Front populaire au premier tour des législatives.

Arrivé en France à 18 ans, l’Algérois issu d’un milieu bourgeois avait plutôt l’habitude que l’on souligne son jeune âge dans des contextes professionnels. « Je n’avais jamais eu le sentiment que mes collègues me voyaient comme un Arabe », dit-il, fatigué de les entendre dénoncer « les gauchistes » et relayer des fake news. Sa stratégie, quoi qu’il arrive, comme nombre de jeunes interrogés : hocher la tête, baisser les yeux, se mettre en retrait. « Je termine dans quelques semaines, je me dis que ça va passer. Pour décompresser et tourner ça en dérision, j’envoie chaque commentaire ou petit truc haineux à ma famille. Mon père m’a toujours dit de ne pas réagir aux remarques. Et il vaut mieux ne pas parler politique au travail. »

« Rester opaque »

Ce sujet perçu comme tabou, les jeunes cadres l’ont bien intégré à l’épreuve de la machine à café. La nouvelle génération opte pour la discrétion au bureau. Consciente, notamment, de son statut dans la hiérarchie. Dans le public comme dans le privé. « C’est compliqué du fait de ma “juniorité”, témoigne Célestin, 26 ans, en poste depuis deux petits mois dans un fonds d’investissement. On a besoin d’en parler pour montrer à nos supérieurs que l’on comprend les enjeux associés aux élections dans notre secteur : l’impact sur le monde de la finance a été brutal. En même temps, il faut savoir rester opaque sur nos opinions personnelles, on ne peut pas se permettre d’être en désaccord. »

A l’annonce de la dissolution, le 9 juin, Célestin s’est engagé pour la première fois en allant tracter pour Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron. « Ecoanxieux », il se dit de « centre gauche » et n’ose échanger qu’avec le collègue avec qui il partage son bureau. « C’est mon supérieur hiérarchique mais il a 40 ans, précise-t-il. On avait discuté des programmes avant les européennes et j’avais compris qu’on était du même bord : ça facilite le dialogue. » Le reste du temps, à la cantine, la politique semble un non-sujet − « alors que c’est tout sauf un non-sujet ! s’agace le jeune homme. On fait les autruches, on met ça sous le tapis. Je commence à en avoir un peu marre de parler des vacances d’été ».

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