Pour l’historien Hervé Joly, « le patronat tend toujours à s’arranger des pouvoirs réactionnaires en place, pour la prospérité de ses affaires »

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Historien des élites économiques en France et en Allemagne, directeur de recherches au CNRS au laboratoire Triangle, à Lyon, Hervé Joly a récemment publié une Histoire de l’Ecole polytechnique (La Découverte, 128 pages, 11 euros).

Il est courant, à gauche, de soupçonner le patronat d’accointances avec l’extrême droite, en s’appuyant sur deux événements historiques : Hitler serait arrivé au pouvoir en 1933 grâce au soutien des grandes entreprises allemandes ; en France, le patronat aurait préféré Hitler au Front populaire. Ces soupçons sont-ils corroborés par les historiens ?

Bien qu’elles ne soient pas confirmées par la recherche historique récente, ces deux thèses continuent d’avoir une certaine audience dans l’opinion publique. La première a été longtemps portée par l’historiographie marxiste, notamment en République démocratique allemande – on la retrouve encore récemment dans le roman L’Ordre du jour, d’Eric Vuillard (prix Goncourt 2017).

Or on sait aujourd’hui que le patronat allemand était peu engagé en faveur du parti nazi avant 1933, à quelques individualités marginales et isolées près, et qu’il était au contraire méfiant à l’égard d’un mouvement dont le programme politique, qui comportait des atteintes à la liberté d’administration des entreprises, lui paraissait aventureux. Si les nazis sont arrivés au pouvoir, c’est d’abord parce qu’ils ont gagné à deux reprises en 1932 les élections au Reichstag, même s’ils n’ont pas eu la majorité absolue, et que les partis démocratiques n’ont pas réussi à s’entendre pour les tenir à l’écart du pouvoir…

De même, la « trahison » patronale de 1940 ne tient pas : Léon Blum n’était plus au pouvoir depuis longtemps en septembre 1939, et les communistes étaient neutralisés par le pacte germano-soviétique. On ne peut pas accuser le patronat d’avoir particulièrement joué la carte fasciste ou nazie ; les engagements en faveur des ligues nationalistes, ou même de l’organisation clandestine la Cagoule, comme celui du patron du fondateur de l’alors modeste entreprise Monsavon, devenue L’Oréal, Eugène Schueller, sont restés isolés.

Mais au-delà de ces deux aspects, quels ont été les rapports du patronat avec l’extrême droite au pouvoir ?

Ce qui est, en revanche, bien établi par la recherche historique, c’est que le patronat tend toujours à s’arranger des pouvoirs réactionnaires en place, pour la prospérité de ses affaires. Après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933, le patronat s’est accommodé de l’abolition de la démocratie et des libertés publiques en échange de l’élimination de ses adversaires syndicaux et politiques de gauche.

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