C’est la dernière chance pour que la France évite un shutdown de son administration : six jours après avoir été renversé, le gouvernement démissionnaire de Michel Barnier a présenté, mercredi 11 décembre, une « loi spéciale » pour « assurer la continuité de la vie nationale et le fonctionnement régulier des services publics » au-delà du 31 décembre, alors que le budget 2025 n’a pas pu être adopté par le Parlement avant le vote de la motion de censure.
Ce texte minimaliste est « un pis-aller » destiné à limiter les dégâts en attendant qu’un nouveau gouvernement soit en mesure de déposer un projet de loi de finances pour 2025, a estimé, mercredi, le ministre démissionnaire du budget, Laurent Saint-Martin. Le projet de loi ne comprend pour cette raison que trois articles, qui autorisent l’Etat et la Sécurité sociale à s’endetter et percevoir les « impôts existants ».
Le gouvernement espère son adoption dès la semaine prochaine. Le caractère inédit de la situation (la dernière loi spéciale remonte à 1979) soulève de nombreuses questions sur ce qui va se produire à partir du 1er janvier.
Quelles dépenses l’Etat pourra-t-il engager ?
Pour que l’Etat puisse continuer à fonctionner, il doit disposer de recettes, mais également être autorisé à les dépenser. Aussi la loi spéciale sera-t-elle accompagnée de décrets en ce sens, que le gouvernement espère publier avant le 31 décembre. Ils permettront d’ouvrir des crédits correspondant aux « services votés », c’est-à-dire « les crédits indispensables pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement », selon Matignon.
Les fonctionnaires pourront ainsi être payés à partir de janvier, et les retraités percevront leurs pensions. Il s’agit cependant d’un dispositif minimaliste. Aucune dépense n’est possible au-delà de celles « nécessaires à la continuité de la vie de la nation », ni aucune dépense nouvelle. Les ministères dont les dépenses devaient augmenter mécaniquement en vertu de lois de programmation seront soumis au régime commun. Eux aussi verront leurs crédits gelés au niveau de 2024, tant qu’un nouveau budget n’aura pas été adopté. Les hausses d’effectifs prévues par Michel Barnier dans la défense (700 postes) ou la justice (1 500 emplois) ne pourront, par exemple, pas être réalisées. Pas de subventions aux entreprises ou aux associations non plus, dans la mesure où il s’agit de mesures « discrétionnaires », politiques.
Au maximum, ces crédits pourront retrouver le niveau prévu dans le budget voté pour 2024, sans être ajustés en fonction de l’inflation. Ce gel de l’enveloppe totale, alors que certaines dépenses augmentent, risque de poser des problèmes si le futur gouvernement tarde trop à faire voter un budget. « En aucun cas, le décret sur les services votés ne peut tenir sur l’année, a mis en garde Laurent Saint-Martin, mercredi. Tout simplement parce que les avancements automatiques des fonctionnaires font qu’il n’y a pas les crédits nécessaires pour les payer jusqu’à la fin de l’année. »
Les pensions de retraite vont-elles être gelées ?
Non. Le projet de budget de la « Sécu » de Michel Barnier prévoyait de retarder de six mois l’indexation des pensions de retraite, afin de réaliser une économie de 3,9 milliards d’euros pour les finances publiques. La censure du gouvernement a emporté avec elle le texte. Ainsi les retraités bénéficieront-ils d’une revalorisation automatique de leur pension de 2,2 % dès le 1er janvier sur laquelle le prochain projet de loi de finances ne pourra revenir.
L’impôt sur le revenu va-t-il augmenter ?
Probablement pas. Certes, faute de budget 2025, le barème de l’impôt sur le revenu ne sera pas ajusté au 1er janvier pour tenir compte de l’inflation. Ce qui pourrait, mécaniquement, conduire des millions de Français à payer un peu plus, même si leur pouvoir d’achat n’a pas progressé. Cependant, les nouveaux taux d’imposition n’entrant en vigueur qu’à la rentrée de septembre 2025, le Parlement a plus de six mois devant lui pour réindexer le barème, y compris de manière rétroactive, avant que les effets de ce « bug » ne se fassent sentir.
Le Monde
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Le député La France insoumise (LFI) et président de la commission des finances, Eric Coquerel, compte déposer un amendement à la loi spéciale pour y intégrer d’ores et déjà cette mesure. Mais l’initiative souffre, selon le Conseil d’Etat, d’un risque élevé d’inconstitutionnalité. En tout état de cause, cette réindexation pourra figurer dans le futur budget 2025.
De nouveaux impôts vont-ils voir le jour ?
Non, pas dans l’immédiat. La loi spéciale ne peut rien changer au cadre fiscal. Aucune des nouvelles taxes envisagées ces derniers mois au cours des discussions budgétaires ne va donc entrer en vigueur dans l’immédiat. Dans la même logique, le coup d’arrêt à la baisse des impôts de production, qui était souhaité par Michel Barnier, n’aura pas lieu. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, un impôt local dû par les sociétés réalisant un certain chiffre d’affaires, va donc poursuivre sa baisse en 2025, conformément à ce qui avait été voté les années précédentes.
Ces changements fiscaux pourront toujours s’appliquer à 2025, si le Parlement décide de réintégrer au futur budget 2025. En revanche, les 10 milliards d’euros de hausses d’impôts envisagées qui devaient s’appliquer dès 2024 (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, taxe sur les « superdividendes », etc.), votées à l’initiative de la gauche, sont sérieusement remises en question. En effet, la perception de ces impôts au titre de 2024 reposait sur le principe de « petite rétroactivité » permettant d’étendre l’application de mesures prises avant la fin de l’année à l’ensemble de l’année en cours.
Si certains spécialistes envisagent que cette petite rétroactivité pourrait s’appliquer à condition que le budget soit adopté rapidement début 2025, Laurent Saint-Martin juge que « le problème de la rétroactivité va se poser assez rapidement. Je suis persuadé qu’il y a un certain nombre de mesures qu’on ne pourra pas reprendre dans la prochaine loi ».
Le système de soin sera-t-il bloqué ?
Non. L’Etat-providence ne va pas s’immobiliser. « Les prestations sociales seraient versées et les cotisations continueraient d’être collectées », rassurait Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, avant même la censure du gouvernement.
La loi spéciale permet à quatre organismes de sécurité sociale, dont l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss), de s’endetter, mais seulement « dans la seule mesure nécessaire à la couverture de leurs besoins de trésorerie ». Là encore, aucune dépense nouvelle n’est possible, sauf exception justifiée par la continuité de la vie nationale. Seules les « dépenses d’investissement ayant fait l’objet d’engagements préalables pourront être engagées », a précisé le ministre Laurent Saint-Martin. Les nouveaux investissements sont quant à eux suspendus au vote d’une véritable loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025.
Les chaînes publiques vont-elles s’arrêter ?
Non. Même sans budget 2025, la télévision et la radio publique fonctionneront encore après le 31 décembre. Mais avec un financement différent de celui envisagé. La redevance ayant été supprimée en 2022, l’audiovisuel public est actuellement financé par une fraction du produit de la TVA. Mais ce système provisoire doit s’éteindre le 1er janvier.
Une loi organique adoptée le 20 novembre a adossé son financement à l’affectation annuelle d’un « montant d’impôt d’Etat », moins susceptible de variations. Ce nouveau dispositif doit cependant, pour se concrétiser, avoir une traduction budgétaire dans le projet de loi de finances. La loi spéciale n’y suffira pas. En attendant un vrai budget, l’audiovisuel public sera donc « financé en 2025 à hauteur du niveau prévu par le budget 2024 » dans le cadre des « services votés », comme les autres services publics, selon Laurent Saint-Martin.
Que deviennent les mesures exceptionnelles prévues par le gouvernement Barnier ?
La loi spéciale ne peut pas contenir de dépenses nouvelles pour 2025. Les mesures de soutien exceptionnelles envisagées dans le projet de loi de finances du gouvernement Barnier ne pourront donc se concrétiser dans l’immédiat. C’est en particulier le cas des hausses d’exonération de taxes pour les agriculteurs et des aides financières promises à la Nouvelle-Calédonie (notamment les 80 millions d’euros dédiés à la reconstruction des bâtiments publics détruits lors des émeutes et un prêt garanti par l’Etat de près de 1 milliard d’euros). Il appartiendra au futur gouvernement de reprendre ou non ces dispositions dans le prochain projet de loi de finances. En cas d’urgence, un « mécanisme dérogatoire » pourrait permettre d’avoir recours à des avances remboursables pour la Nouvelle-Calédonie.
L’Etat pourra-t-il financer l’Europe et les collectivités territoriales ?
Oui. Le financement par l’Etat des collectivités territoriales et de l’Union européenne (UE) continuera d’être assuré grâce au projet de loi spéciale. Ces financements relèvent habituellement du budget général de l’Etat, qui prévoit un prélèvement sur les recettes (taxes et impôts) directement reversé à ces institutions.
La contribution de 66,6 milliards d’euros en faveur des collectivités territoriales et de l’UE du budget 2024 devrait être reconduite à l’identique pour l’instant, dans l’attente du vote du budget 2025.
Le montant du versement à Bruxelles sera « conforme aux engagements de la France pour 2025 », selon le ministre démissionnaire de l’économie, Antoine Armand. Soit environ 25 milliards d’euros, contre 24 milliards en 2024.