La campagne des législatives engagée tambour battant ce lundi 17 juin voit s’entrechoquer deux temporalités : un hyperprésent d’une part et un passé instrumentalisé de l’autre. Le seul futur que l’on brandit est celui, anxiogène, du chaos – un péril que brandissent avec aplomb ceux qui en sont pourtant les principaux artisans.
Vingt jours, c’est la durée plancher fixée par le constituant pour faire campagne à l’issue d’une dissolution. Vingt jours d’un présent hypertrophié, où la précipitation s’impose comme conseillère, aussi mauvaise qu’inévitable. Des candidatures déposées à la hâte, moins diverses et moins paritaires, des programmes ficelés en quelques heures à peine, au détriment de la cohérence et de la faisabilité, une omniprésence des réseaux sociaux, du président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, mangeant des bonbons sur son compte TikTok avant d’entrer en meeting, aux BeReal – cette application où les utilisateurs partagent des photos instantanées – du premier ministre, Gabriel Attal.
Cette campagne express est doublement problématique. Elle escamote toute réflexion programmatique de fond et incite à céder à l’appel des promesses intenables. Elle insulte donc l’avenir, entérinant un inéluctable renforcement de la déception et de la défiance. Elle est ensuite appréhendée par le seul prisme de ses « coups » quotidiens, ses ralliements et reniements, ses petites phrases ou ses noms d’oiseaux. Les Français, abasourdis, suivaient les évolutions minute par minute de ce mauvais vaudeville qui n’avait pas le panache de ces bonnes séries politiques auxquelles certains ont voulu les comparer.
Mémoire intouchable
L’infobésité atteint des niveaux pathologiques, mais est-ce encore d’informations qu’il s’agit ? Le commentateur politique est dépassé et démuni, mais il doit intervenir et nourrir la bête insatiable des chaînes d’info en continu. Il commente, parfois se trompe ou se contredit, comme les politiques qui annoncent, souvent reculent et se dédisent. Mais comment pourrait-il en être autrement ?
Ajoutons à cela, navrante nouveauté de ces derniers jours, l’instrumentalisation des faits divers les plus tragiques. A gauche, toute tentative de renouer avec la rhétorique de l’appel au rêve et aux « lendemains qui chantent » est rattrapée puis empêchée par les purges et les règlements de compte. Loin du primat revendiqué des valeurs et des idées, l’obsession du chef, nourrie par un bonapartisme incurable, écrase tout.
Les torsions du passé ensuite. La campagne des européennes, déjà, surinvestissait les questions historiques, dans une séquence mémorielle marquée par les commémorations du Débarquement de 1944. « On n’y peut rien si l’anniversaire du Débarquement tombe chaque année le 6 juin », répondaient, goguenards, des conseillers élyséens. Dès le 10 juin, au lendemain de la dissolution, le président de la République se drapait des oripeaux d’une mémoire intouchable à Tulles et à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) convoquant, avec le président allemand, le souvenir des désastres de la barbarie nazie.
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