Depuis 2012, Nabil Ayouch et Maryam Touzani sont des figures incontournables du Festival de Cannes, y présentant régulièrement des films qu’ils ont co-créés. En tant que réalisateur, Nabil Ayouch a été sélectionné dans la section Un Certain Regard en 2012 avec Les Chevaux de Dieu, à la Quinzaine des Réalisateurs en 2015 avec Much Loved et en compétition officielle en 2021 avec Haut et Fort. Cette année, il revient avec Everybody Loves Touda, une œuvre coécrite avec Maryam Touzani, qui l’accompagne comme toujours.
Le rôle principal de Everybody Loves Touda est brillamment incarné par Nisrin Erradi, une actrice marocaine qui avait précédemment joué Samia dans Adam, un film réalisé par Maryam Touzani et coécrit et produit par Nabil Ayouch, présenté dans la section Un Certain Regard en 2019.
Pour l’écriture de Everybody Loves Touda, Nabil Ayouch a encore une fois travaillé en étroite collaboration avec Maryam Touzani, membre du jury des longs métrages l’an dernier et réalisatrice du délicat Bleu du Caftan (Un Certain Regard, 2022) et de Adam. Dans ce dernier film, elle dirigeait déjà Nisrin Erradi, qui interprète aujourd’hui Touda, après une immersion intensive auprès des cheikhates pour préparer son rôle.
Le duo Ayouch-Touzani est devenu synonyme de qualité et d’audace dans le cinéma marocain, abordant des thèmes sociaux avec une profondeur et une sensibilité rare. Leur collaboration artistique, marquée par une exploration constante des histoires humaines, apporte une richesse narrative à leurs films.
Nabil Ayouch continue d’élever le cinéma marocain en explorant les tabous de la société. Après avoir traité du djihadisme dans Les Chevaux de Dieu et de la prostitution dans Much Loved (2015), il se penche sur les cheikhates dans Everybody Loves Touda, présenté en hors compétition dans la sélection Cannes Première.
Touda est une femme qui danse, chante et boit dans les bars de son village, tout en vivant chichement avec son fils sourd. Elle rêve de quitter ce quotidien pour Casablanca afin de devenir une grande cheikha et offrir à son fils une meilleure éducation dans une école spécialisée.
Avant la projection de Everybody Loves Touda, Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, a pris la parole pour saluer le cinéma marocain et le talent de Nabil Ayouch. Il a qualifié le Maroc de « grand pays cinématographique » et a loué les contributions continues de Nabil Ayouch, qui permettent au festival de voyager à travers la diversité culturelle du Maroc. Thierry Frémaux a également souligné que cette fois, Nabil Ayouch nous emmène dans l’univers de la musique marocaine, une dimension souvent méconnue des amateurs de musique populaire, que ce soit dans le monde arabe ou à l’international.
Everybody Loves Touda explore le monde de l’Al Aïta, une forme musicale et chantée profondément enracinée dans la culture marocaine. Al Aïta, apparue il y a des siècles dans la région d’Asfi sur la côte atlantique, est un chant de révolte et de résistance. Historiquement, les femmes étaient interdites de chanter, mais une figure légendaire, Khadouj Laâroussi, plus connue sous le nom de Cheikha Khourboucha, a défié ces interdictions en utilisant Al Aïta comme forme de protestation. Son histoire est celle d’une lutte contre les conventions tribales et l’oppression, faisant d’elle une icône de la résistance culturelle.
Nabil Ayouch redonne leurs lettres de noblesse aux cheikhates, ces chanteuses autrefois vénérées au Maroc mais aujourd’hui souvent méprisées. Leur déclin a commencé dans les années 1970 lorsqu’elles ont dû migrer vers les villes, modifiant leur répertoire et se produisant dans des cabarets, ce qui les a exposées aux jugements et aux préjugés. À travers le parcours de Touda, il explore les défis et la résilience de ces chanteuses.
Touda, incarnée avec brio par Nisrin Erradi, lutte pour la reconnaissance et la survie dans une société patriarcale. Son histoire est parsemée de moments de joie et de tristesse, reflétant la dualité de leur existence. Malgré les violences et l’exploitation, Touda trouve des alliés inattendus et des moments de grâce, notamment grâce à un vieux violoniste rencontré à Casablanca.
Everybody Loves Touda dépasse le cadre de la réalité marocaine pour toucher des thèmes universels tels que la lutte pour l’égalité, la quête de dignité et la puissance de l’art comme forme de résistance. En mettant en lumière les cheikhates, Ayouch rappelle l’importance de préserver et de célébrer les traditions culturelles tout en critiquant les injustices sociales.
Après la projection de Everybody Loves Touda, le public a longuement ovationné le film. Nabil Ayouch a pris la parole et a déclaré: « Vous l’avez compris, ces femmes sont à mes yeux des héroïnes qui portent des chants de résistance et dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui qui a un peu beaucoup perdu sa boussole, on a besoin de héros et d’héroïnes, et moi il n’y a pas beaucoup de choses je dois l’avouer qui m’aident à tenir le cap. Il y a la croyance d’abord de celles et tous ceux qui nous permettent, qui m’ont permis de faire ce film, de le montrer, de le fêter avec vous, il y a un amour passionnel, brûlant pour le Maroc, pour le peuple marocain, le talent, votre talent à tous, le talent des techniciens, de l’équipe, qui est là, qui a répondu présent aujourd’hui, des acteurs, des actrices, une actrice en particulier, incandescente, volcanique, tellement énorme, Nesrine, merci.... »
Ovationné par le public, le film témoigne du talent de Nabil Ayouch et de Maryam Touzani, et de leur capacité à toucher les cœurs tout en suscitant la réflexion. Cette œuvre, qui divertit, éduque et inspire, réaffirme leur place sur la scène cinématographique internationale. Leur engagement pour le cinéma montre qu’ils sont non seulement des conteurs talentueux, mais aussi des défenseurs passionnés de la justice sociale et de la dignité humaine.
Neïla Driss
