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En Tunisie, une exposition rend hommage à Salammbô de Flaubert

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Lorsque le voyageur emprunte le TGM, le train qui va du centre de Tunis vers sa banlieue nord, la station Salammbô évoque aussi bien le mythe que la réalité. « Beaucoup pensent que le personnage Salammbô du roman éponyme a bel et bien existé », explique Yesmine Ben Khelil, artiste tunisienne qui a participé à l’exposition en cours au musée du Bardo autour du roman de Gustave Flaubert et de son décor carthaginois.

Pendant longtemps, des rumeurs ont même couru que le fameux port punique de Carthage abriterait la maison dans laquelle Flaubert a séjourné, lors de son voyage de 1858 en Tunisie, une information qui n’a jamais été vérifiée. Mais l’esprit de Salammbô est encore bien palpable dans le quartier qui porte son nom, comme le montrent les clichés humoristiques de Douraïd Souissi, qui a photographié plusieurs enseignes utilisant le nom de Salammbô pour la devanture d’un boui-boui de street food, d’un coiffeur ou encore d’une boucherie.


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Salammbô, entre fiction et réel

Plus d’un siècle après la mort de l’écrivain et l’écriture de l’ouvrage Salammbô, l’exposition qui lui rend hommage tente surtout de tisser des liens historiques et artistiques entre le roman et le réel. Une entreprise difficile, car Flaubert disait vouloir « fixer un mirage », figer dans le temps une fiction, empreinte de références historiques et d’hommage à la Carthage antique. L’ouvrage, publié en 1862, a pour contexte les guerres sanglantes des mercenaires du IIIe siècle av. J-C et met en scène une histoire d’amour entre Salammbô, prêtresse de la déesse Tanit et fille d’un magistrat militaire, Hamilcar, inspiré du personnage historique réel, et Matho, le chef des mercenaires libyen, avide de conquérir Carthage et Salammbô.

Tunis est donc la conclusion logique d’une exposition itinérante conçue entre le musée des Beaux-arts de Rouen – ville de Flaubert et le Mucem de Marseille. « À Tunis, nous devions exposer au musée de Carthage, mais puisqu’il est en cours de restauration, nous nous sommes rabattus sur le Bardo, et cela fait sens, puisque les œuvres sont exposées dans la salle des Puniques », explique l’une des commissaires de l’exposition et conservatrice en chef du patrimoine au Mucem, Myriame Morel-Deledalle. « Nous nous sommes glissés dans les interstices de cette scénographie déjà existante pour exposer les œuvres. »

À travers plusieurs productions artistiques qui mettent en relation le roman et la Carthage antique, ainsi que ses différentes influences dans la littérature, l’opéra et la peinture après la parution du livre, l’exposition relie les deux rives de la Méditerranée autour de ce classique que certains lisent encore à Tunis. « J’ai fait mes études au lycée Gustave-Flaubert à Tunis, donc impossible de ne pas connaître l’auteur ou son livre », plaisante Yesmine Ben Khelil.

Pour Myriame Morel-Deledalle, dans cette exposition, « on ne raconte pas le roman, on raconte autour du roman. Comment Flaubert a été amené à imaginer une histoire pareille ? Quelles ont été ses sources ? Qu’est-ce que l’histoire de l’art en a fait par la suite en dévoyant un peu la pensée de Flaubert ? Et qu’est-ce que l’archéologie a pu produire après les découvertes posthumes à Flaubert ? »


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Éclairage archéologique

Dans l’exposition, une cuirasse de Ksour Essaf en bronze doré, datant du IIIᵉ siècle, rappelle l’existence réelle de cette guerre de mercenaires qui, au nombre de 20 000, vont se révolter et quitter le nord du pays, Sicca, l’ancienne appellation de l’actuelle région du Kef, pour aller vers Carthage. Des statues de guerriers carthaginois ou encore de Baal Hamon, dieu vénéré à l’époque, viennent compléter les références historiques qui font aussi écho à celles de Marseille, comme le Tarif, une inscription en écriture phénicienne sur du calcaire datant du IVᵉ siècle avant Jésus-Christ.

« La particularité de l’exposition, à Tunis, c’est qu’il y a un éclairage important avec des pièces archéologiques. Puisqu’on est à Carthage, nous avons bénéficié des collections des musées du Bardo et du musée de Carthage, mais aussi des trouvailles faites au cours de fouilles plus récentes », explique Fanny Rolland, attachée culturelle de l’Institut français à Tunis, coorganisateur de l’évènement. L’exposition montre ainsi le travail réalisé au XXᵉ siècle à Carthage avec l’exhumation d’un couvercle de sarcophage en marbre blanc rendant hommage à une déesse ailée sculptée entre le IVᵉ et Vᵉ siècle avant Jésus-Christ.


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Lors de sa visite à Carthage, Flaubert voit peu des monuments ou artefacts qui témoignent de cette Carthage antique, car les fouilles archéologiques ont à peine commencé et ni le musée du Bardo ni celui de Carthage n’ont encore vu le jour. Il retiendra surtout les paysages et les couleurs qu’il couche dans son carnet de voyage dont certains extraits sont présentés. Puis, c’est dans la peinture du XIXᵉ et XXᵉ siècles que l’on retrouve de nombreuses références à la guerre des mercenaires ou aux personnages de Salammbô.

C’est en tombant par hasard chez un bouquiniste sur une édition de Salammbô illustrée que l’artiste Yesmine Ben Khelil a eu l’idée d’interroger le mythe, en 2017. « J’ai voulu questionner la représentation de cette femme dans différentes époques et le rapport à l’orientalisme [à travers ce personnage] », explique-t-elle. Par des collages, des gravures et des aquarelles, l’artiste fait dialoguer les représentations de Salammbô et celles de femmes exécutant une danse orientale, autre image fantasmée de la femme orientale. Le personnage, perçu comme femme fatale, inspire aussi de nombreux artistes tels que Théodore Rivière ou George-Antoine Rochegrosse, qui la représentent nue avec un serpent.

Flaubert, un orientaliste ?

L’exposition examine aussi la vision de l’Orient par Flaubert. Elle évoque la période beylicale pendant laquelle le romancier s’est rendu en Tunisie pour se documenter, en 1858, ainsi que son héritage, à la lumière d’un contexte actuel de déconstruction de l’orientalisme et du regard « colonial » sur la Tunisie.

Le débat a eu lieu parmi les commissaires de l’exposition également. « Flaubert n’est pas du tout un orientaliste, estime Myriame Morel-Deledalle. C’est quelqu’un qui a étudié les religions orientales et phéniciennes, et qui s’est documenté de manière très scientifique. Et le personnage qu’il invente, puisque Salammbô est un personnage complètement inventé – à l’inverse de tous les autres protagonistes de son roman qui ont bel et bien existé – est une prêtresse pure et vierge au service de Tanit. Après la mort de Flaubert, donc après 1880, ce sont les artistes qui ont revisité Salammbô qui en ont fait une femme orientale, orientalisante, orientaliste…, pas du tout fidèle à la prêtresse de Flaubert ». D’où l’actualité du travail de l’artiste Yesmine Ben Khelil qui interroge aujourd’hui la contemporanéité du personnage et la réappropriation du roman par les plus jeunes générations.

Outre ces débats, l’exposition peut aussi rendre plus accessible l’ouvrage et vulgariser aussi son histoire pour un public d’enfants ou d’adolescents. Elle a d’ailleurs été conçue avec des animations, de la réalité virtuelle et plusieurs conférences et spectacles, attirant plus de 12 000 visiteurs depuis son ouverture en septembre.

Exposition « Salammbô », au musée du Bardo à Tunis

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