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Foire internationale du livre de Tunis : Vico, Veneziani et Somai

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Marcello Veneziani sera aujourd’hui à la Foire du livre dans le cadre de la manifestation « l’Italie, invité d’honneur ». Il présentera son récent essai sur le penseur italien Vico, dans un dialogue avec Ahmed Somai, universitaire tunisien de premier plan et traducteur de Vico en arabe. Rendez-vous au pavillon italien, samedi 27 avril à 16h.

La vie a parfois des détours énigmatiques qui peuvent peser sur les destinées. Ainsi, il est tout à fait plausible que Marcello Veneziani se soit lancé dans une biographie de Vico, un penseur italien du dix-septième siècle, pour une coïncidence des initiales de ce dernier avec celles de son propre père, auquel est d’ailleurs dédié ce livre.

Cette histoire en filigrane qui relie Giambattista Vico et Giovanni Veneziani, l’admiration pour le génie et l’affection pour le père, la graine qu’ils ont tous deux semée, en rend ce livre d’autant plus émouvant. Car si entreprendre une biographie de Vico n’est pas une mince affaire, le faire en y investissant l’image du géniteur, rend l’entreprise audacieuse et résolument moderne et engagée.

De fait, dans cet ouvrage qui restitue les travaux et les jours de Vico, la platitude diachronique qui guette ce genre littéraire n’est en aucun cas de mise. L’auteur, Marcello Veneziani, parvient en une dizaine de chapitres, non seulement à réhabiliter Vico, injustement oublié, mais aussi à produire une image mythique de ce penseur. La juste narration, le souffle profond et romanesque de Veneziani y sont pour beaucoup, au même titre que ses lectures dans l’œuvre de celui qui, pour la postérité, est demeuré au seuil du Panthéon.

Ce n’est pas un hasard que l’essai de Marcello Veneziani s’intitule « Vico dei Miracoli », un titre qui suggère autant un penseur miraculeux dont l’œuvre est née au moment qu’il fallait qu’une vulgate renaissante, miraculeusement renaissante, pour réhabiliter celui dont la vie fut obscure et tourmentée, comme le souligne le sous-titre de l’ouvrage.

Pour Veneziani, il n’y a pas d’hésitation à avoir : Vico est bien le plus grand penseur italien. Son plaidoyer semble d’ailleurs avoir fait mouche puisque les lecteurs italiens se sont littéralement rués sur ce livre qui, en l’espace de sept mois, entre août 2023 et février 2024, a connu quatre rééditions successives, au grand bonheur des éditions Rizzoli qui ont accompagné le projet de Veneziani.

Pour l’auteur de ce « Vico des Miracles », les choses sont limpides et se basent sur deux constats : Vico est un penseur essentiel et aussi l’écrivain italien le plus traduit dans le monde. Selon Veneziani, toute la pensée italienne moderne, de Benedetto Croce à Antonio Gramsci en passant par les théoriciens catholiques, a été nourrie par Vico, non seulement à travers la référence à l’historicisme mais aussi par d’autres ferments.

Penseur original pour son époque, à cheval entre les seizième et dix-septième siècles, Vico a subi l’incompréhension de ses contemporains qui le voyaient plus dans les habits d’un rhéteur ou d’un latiniste que dans ceux d’un philosophe. Serait-ce à cause de son langage plutôt ardu ? Le fait est, avance Veneziani, que la reconnaissance de Vico ne viendra qu’après sa traduction française par Jules Michelet.

Chez Vico, l’historicisme est assurément une clé de lecture mais elle reste insuffisante car elle ne permet pas de saisir ses intuitions et sa capacité à générer une philosophie de la pensée, une authentique épistémologie qui va chercher ses racines dans le mythe, la poésie et le langage qui sont posés comme matrices de la civilisation. La démarche de Vico s’élargit ensuite du mythe à la théologie et la philosophie. Mircea Eliade ainsi que Martin Heidegger ont d’ailleurs parfaitement assimilé ces approches viquiennes.

Cette démonstration permet à Veneziani d’opérer un constat fondamental : la pensée de Vico tend à intégrer toutes les disciplines du savoir à l’intérieur d’un seul savoir organique. De la sorte, alors que l’époque était au triomphe des Lumières, Vico parvient à ne pas délégitimer la pensée religieuse, la foi, le mythe, et les insérer dans un chemin humaniste, une sagesse qui intègre sans rejeter.

Il ne s’agit ici ni d’un primitivisme ni d’une quelconque résurgence obscurantiste. Bien au contraire, Vico va enrichir cette démarche inclusive – qui se développe simultanément au cartésianisme – en la complétant par une vision historique qui lui est propre. Pour le penseur italien, il convient de se libérer des théoriciens progressistes qui construisent une vulgate selon laquelle la sécularisation de l’idée chrétienne est un primat.

Ces penseurs de la gestation moderniste croient aussi en une linéarité de l’histoire qui est toujours en train d’aller de l’avant. Vico se démarque également des penseurs plus classiques selon lesquels l’histoire se répète comme à l’aune des cycles naturels.

Contrairement aux idées dominantes, Vico va avancer que le chemin de l’histoire répond à la figure complexe de la spirale. Il considère ainsi que le processus qui tend vers l’avant s’accompagne de cercles qui reproduisent les expériences du passé avec des textes nouveaux et caractérisent le développement historique.

Au-delà de ces points de doctrine, Marcello Veneziani met en exergue beaucoup d’autres points essentiels, notamment les intuitions de Vico dans les domaines de l’esthétique ou de la pédagogie ou encore sa conception de l’enfance comme laboratoire de la pensée, cette fulgurance qui établit un lien visionnaire entre l’enfant et l’être primitif. Tous ces volets de la pensée viquienne restent peu étudiés malgré leur potentiel d’intersection avec la psychologie contemporaine.

À la lecture du Vico de Marcello Veneziani, on ne peut que ressentir un changement de paradigme par rapport aux études fondamentales menées par Fausto Nicolini. Nous sommes avec Veneziani face à une lecture ouverte, un plaidoyer souvent éclairé par les enjeux du nouveau siècle et non oblitéré par le tumulte des époques antérieures qui ont mystérieusement occulté Vico dont on retiendra son influence sur le constructivisme et son pendant derridien.

Comment ne pas voir en Vico, un philosophe de l’histoire ? Comment est-il resté à l’ombre de Hegel alors qu’il fut un précurseur de la pensée complexe ? Comment sommes-nous passés à côté du Vico théorisant l’essor des sciences sociales ? Comment relire Vico aujourd’hui, aussi bien en regard de l’historicisme intuitif d’Ibn Khaldoun que par rapport aux tenants réfutés de la fin de l’histoire ?

Autant de questions induites par le remarquable travail de Marcello Veneziani qui interroge notre conscience de Vico et celle des Italiens qui eux-mêmes, n’accordent pas toujours à ce génie, le statut qu’il mériterait indéniablement. Ce fils d’un libraire, aux études décousues et au remuant désir de philosophie, dont l’œuvre oubliée dans les méandres de l’histoire rejaillit, s’impose à nous dans toute son actualité.

Bien sûr, nous pourrions aussi évoquer l’influence de Vico sur certains aspects de la sémiologie de la métaphore chez Umberto Eco. Ou encore son impact subreptice sur James Joyce. Il n’en reste pas moins que le texte le plus immédiat est celui de Marcello Veneziani qui nous introduit aux singularités d’un grand homme, d’un « esprit héroïque » et d’un pivot de la culture méditerranéenne.

Grâce au travail méticuleux et proprement militant de Veneziani, renaît un Vico miraculé et aussi un nouveau flux de lecteurs en quête de ses textes les plus importants. « La Science nouvelle » dont le titre est à maints aspects prémonitoire, constitue le nec plus ultra de la doctrine de Vico. Les deux éditions de ce livre, celle de 1725 et celle de 1743, mériteraient désormais une nouvelle lecture.

Cette œuvre maîtresse du penseur italien vient également d’être traduite en arabe par Ahmed Somai, professeur émérite de l’Université tunisienne. Cette traduction qui vient d’obtenir le très recherché Cheikh Zayed Book Award établit d’ailleurs une double convergence avec Ibn Khaldoun et aussi avec la nécessité pour l’aire arabo-musulmane de se nourrir des approches de Vico.

Quant à Marcello Veneziani qui sera parmi les invités de la Foire internationale du livre de Tunis, il pourra amplifier son plaidoyer pour Vico, rappeller que si Dante est le père de la littérature italienne, Vico en est le penseur le plus traduit.

En outre Veneziani qui est autant un pamphlétaire qu’un biographe, aura tout le loisir de présenter le plus récent de ses essais paru en janvier 2024 et intitulé « L’Amore necessario », un nouveau plaidoyer pour que règne l’amour, cette  force qui fait avancer le monde, ce concept profondément chrétien qui invite à une lecture polyphonique.

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