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Les deepfakes, armes de destruction massive entre l’Ukraine et la Russie

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Depuis son invasion massive de l’Ukraine, la Russie a lancé de nombreuses attaques informationnelles visant aussi bien différentes sphères de la société ukrainienne ou des pays soutenant Kiev – à travers des opérations comme Döppelganger ou Portal Kombat – que des pays africains, moyen-orientaux ou asiatiques où Moscou a cherché à diffuser des narratifs pro-russes.

5 millions de textos

Moins évoquées, plusieurs actions du même type mêlant cyberattaques et usage d’IA pour générer des deepfakes ont été conduites par les Ukrainiens dans l’espace informationnel russe, notamment afin de montrer à la population russe la réalité d’une guerre qui n’a rapidement plus rien eu à voir avec la prétendue simple « opération militaire spéciale » annoncée par le Kremlin.


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Dès mars 2022, le groupe Anonymous et la section Squad 303 ont envoyé plus de 5 millions de textos sur des numéros de téléphone portable russes pour relayer des informations sur ce qui se passait réellement en Ukraine et que les médias russes ne montraient pas. Cette action continue à ce jour sous la forme du mouvement « Call Russia » qui fait appel à des volontaires prêts à donner de leur temps pour informer la population russe, coincée dans la bulle informationnelle entretenue par le Kremlin.

Rapidement, l’effort ukrainien a également porté sur les médias russes, dans l’objectif de bénéficier de leur large audience pour porter des messages au plus grand nombre de spectateurs possible. Ainsi, et là encore dès le début du conflit, les sites de streaming Wink et Ivi, très utilisés en Russie, ainsi que des chaînes comme Russia 24, La Première Chaîne ou encore Moscou 24 ont été piratés. De nombreux Russes ont vu des images de guerre en provenance d’Ukraine en lieu et place de leur demande initiale.

Scènes de guerre à Paris

Parallèlement, un deepfake a été diffusé par les Ukrainiens pour faire prendre conscience aux Occidentaux de la gravité de la situation en Ukraine. Ce dernier simulait des scènes de guerre à Paris. Si le but de sensibilisation pouvait être atteint grâce au réalisme de la scène, un effet pervers a été observé en Russie où la vidéo faisait l’objet d’une réutilisation détournée. Cette diffusion permettait à plusieurs voix russes d’appuyer leur négation de la réalité du conflit ukrainien auprès de la population en prônant que puisqu’on pouvait produire des faux aussi réalistes, nombre d’images attestant des bombardements russes sur les villes d’Ukraine et de leurs dégâts effroyables pour la population civile étaient également des faux générés par IA.

Les actions mobilisant des deepfakes se sont poursuivies au cours des mois de guerre. À titre d’exemple, en 2023, un piratage a permis la diffusion sur plusieurs chaînes, notamment à Ekaterinbourg et dans des villes situées dans la région de Krasnoïarsk, d’un clip où des militaires ukrainiens se préparaient au combat ou détruisaient des chars et véhicules de transport russes pendant qu’apparaissait l’inscription « L’heure des comptes a sonné » en ukrainien.


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Parallèlement, d’autres chaînes comme STS, Zvezda, Questions et réponses ou encore REN TV ont vu leurs programmes interrompus par des images du ballet « Le Lac des cygnes », suivies d’une vidéo montrant des militaires ukrainiens.

Pour bien comprendre la logique de la diffusion de l’œuvre de Tchaïkovski, il faut savoir que « Le Lac des cygnes » est devenu un symbole de la censure soviétique d’abord, et russe ensuite. L’origine de cette symbolique se lit dans l’histoire, où la diffusion du « Le Lac des cygnes » à la télévision était associée à un événement tragique (comme la mort des dirigeants Brejnev, Andropov et Tchernenko). Cette symbolique a été renforcée quand en août 1991, pendant le putsch visant Mikhaïl Gorbatchev, la danse des petits cygnes, moment phare du ballet, avait été diffusée en lieu et place d’un reportage en direct portant sur les événements en cours.


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« L’heure des comptes a sonné »

Un premier deepfake russe avait été diffusé dès début mars 2022. On voyait dans ce contenu synthétique Volodymyr Zelensky annoncer sa reddition aux forces russes. De piètre facture, ce faux réalisé à l’aide de l’IA en annonçait d’autres à venir.

Sur le territoire russe, au mois de juin, faisant suite au message « l’heure des comptes a sonné », plusieurs chaînes ont diffusé, du fait d’un piratage, un deepfake montrant Vladimir Poutine et accompagné de la légende « Appel d’urgence du président ». Dans ce contenu d’environ une minute, Poutine annonçait que l’armée ukrainienne avait pénétré dans trois régions frontalières, où il déclarait la loi martiale et dont il exhortait les habitants à « évacuer en profondeur » vers la Russie tout en instaurant une mobilisation générale, sujet sensible dans la population. Le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, dut faire un démenti.

Nous ne citerons pas ici l’ensemble des intrusions réciproques, mais évoquons néanmoins une opération russe particulièrement marquante, celle du 9 mai 2024. Rappelons d’abord que, de son indépendance en 1991 jusqu’en 2003, l’Ukraine commémorait la fin de la Seconde Guerre mondiale le 9 mai, comme la Russie, et non le 8 mai comme les Occidentaux. Après le déclenchement de l’invasion de 2022, l’Ukraine, désireuse de marquer son choix pour le modèle de société occidental et son découplage d’avec la Russie, a opéré un changement de date et s’est alignée dès 2023 sur le calendrier occidental des célébrations, ce qui représentait un symbole fort. Et le 9 mai 2024, quelque 15 chaînes de télévision ukrainiennes ont vu leurs programmes être remplacés par des images du défilé russe. Un piratage qui a également concerné la chaîne lettonne Baltcom.

Si on n’observe pas ici de deepfake, on notera la technique employée qui a ciblé les satellites de communications Astra, détenus et exploités par SES, une société basée au Luxembourg très active dans le déploiement de constellations satellitaires. SES a alors fait savoir que ce piratage était loin d’être un cas isolé.

72 bougies et une démission

C’est dans ce contexte qu’une action très remarquée s’est produite le 7 octobre dernier, jour du 72e anniversaire de Vladimir Poutine. Cette attaque a ciblé VGTRK, le fournisseur des principaux médias d’État russes, après avoir été annoncée par le groupe Sudo rm-RF sur son compte Twitter.

Sur Krym24 TV, une chaîne diffusée en Crimée annexée, les hackers ont réussi à faire passer un deepfake simulant un flash info où le président russe annonçait la fin des opérations militaires en Ukraine ainsi que sa démission.

L’intrusion dans le réseau de VGTRK, acteur majeur de la télévision d’État russe qui possède entre autres Rossiya-1 et Rossiya-24, mettait en évidence une faille alors que Moscou n’a de cesse de sécuriser sa sphère informationnelle. En outre, les hackers ont aussi détruit les archives et sauvegardes des vidéos et bandes audio de la structure.

L’ampleur de cette attaque faisait déclarer à Dmitri Peskov que « notre média d’État, l’un des plus importants, a été confronté à une attaque sans précédent de pirates informatiques contre son infrastructure numérique ». Sudo rm-Rf n’en est pas à son coup d’essai, le groupe ayant notamment été pointé du doigt en 2022 pour une attaque visant RuTube, le YouTube russe, où des messages antiguerre avaient remplacé les programmes de chaînes de télévision russes, et pour une autre opération, en 2023, ciblant MosgorBTI, le site web du bureau d’enregistrement des biens immobiliers de Moscou.

Réseaux antagonistes génératifs

Les médias, outils centraux de l’information, sont de fait devenus des cibles privilégiées dans le cadre de guerre informationnelle. Même si l’effet réel de ces intrusions, particulièrement quand elles sont démasquées rapidement, reste à mesurer, l’usage de plus en plus accessible de réseaux antagonistes génératifs (GANs), qui permettent de réaliser des deepfakes, facilite la production et la diffusion de ces vidéos. En outre, les développements techniques permettent de rendre ces contenus de plus en plus crédibles et donc de moins en moins aisément identifiables sans faire usage de méthodes algorithmiques.

Enfin, à l’heure ou une large partie de la population cherche des informations sur les réseaux sociaux, on peut s’interroger sur l’impact des actions menées sur ces supports, notamment s’ils utilisent des deepfakes pouvant, selon le soin apporté à leur réalisation, être particulièrement réalistes et donc crédibles pour un œil humain non assisté de solution algorithmique de détection.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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