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Mamadou Ismaïla Konaté : « S’il n’a peut-être pas été abandonné, Mohamed Bazoum semble avoir été oublié »

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Ancien ministre de la Justice d’Ibrahim Boubacar Keïta au Mali, Mamadou Ismaïla Konaté publie, avec la communicante française Geneviève Goëtzinger, un recueil de lettres adressées à Mohamed Bazoum, le président nigérien renversé en juillet 2023, 25 lettres au président Mohamed Bazoum. Philosophe, prisonnier et résistant (Khartala, 20 euros). Des missives signées par des personnalités du continent, issues du monde politique, mais aussi des sphères juridiques ou culturelles, qui ne témoignent pas à proprement parler « d’un soutien politique » à l’ancien chef de l’État, mais « d’un combat pour le droit ».

Pour Jeune Afrique, l’avocat malien revient sur la genèse de ce projet et sur les inquiétudes que suscite le maintien au pouvoir des militaires dans une région où « les libertés publiques n’ont jamais été aussi réduites, les droits aussi bafoués, la liberté d’expression piétinée ».


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Jeune Afrique : Comment est né ce projet de recueil de lettres adressées à Mohamed Bazoum ?

Mamadou Ismaïla Konaté : Cette initiative est née d’un échange avec Geneviève Goëtzinger, journaliste et ancienne directrice de RFI [et désormais communicante, ndlr]. Il y a beaucoup d’attaques violentes sur les réseaux sociaux, et beaucoup sont formulées par des Nigériens qui décrivent Mohamed Bazoum comme un dirigeant mauvais, autoritaire et corrompu. Il s’agissait, à travers ces lettres, de donner la parole à ceux qui le perçoivent autrement. De donner l’occasion à ceux qui connaissent Mohamed Bazoum de dire qui il est et qui il n’est pas.

C’était également un moyen de dénoncer sa séquestration, les conditions dans lesquelles il est retenu depuis plus d’un an et demi, avec son épouse, en violation totale du droit nigérien et des traditions africaines en général.

Cet ouvrage est-il une forme de soutien politique à Mohamed Bazoum ?


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Absolument pas. Parmi les vingt-six personnalités qui ont participé, il n’y a pas que des hommes politiques. Il y a des hommes de droit, des hommes de culture, des hommes de lettres, des journalistes… Et parmi les politiques, diverses « obédiences » sont représentées.

En ce qui me concerne, j’ai décidé d’écrire en tant qu’homme de droit. Afin de défendre Mohamed Bazoum comme, hier, j’ai défendu d’autres personnalités, telles que Bah N’Daw au Mali [président de transition renversé en 2021, ndlr], Khalifa Sall au Sénégal, Houna Ould Haidala en Mauritanie… À chaque fois, il s’est agi pour moi d’un combat pour le droit. C’est encore le cas aujourd’hui.


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La mobilisation d’une partie de la communauté internationale pour la libération de Mohamed Bazoum s’est rapidement essoufflée. Avez-vous le sentiment qu’il a été abandonné de ses pairs ?

Il n’a peut-être pas été abandonné, mais il semble en effet avoir été oublié. Que reste-t-il aujourd’hui de la vague d’indignation et des grandes dénonciations qui ont suivi le 26 juillet 2023 ?

Il a un temps été question d’une intervention militaire de la Cedeao, et cela a totalement éclipsé la question de sa libération. Nous nous sommes tellement enlisés sur ce sujet que Mohamed Bazoum est passé au second plan. L’annonce du départ de l’Alliance des États du Sahel de la Cedeao a achevé de reléguer son cas tout en bas de la liste des priorités. Notre idée était justement de remettre sur le devant de la scène la situation que vivent Mohamed Bazoum et son épouse.

Y-a-t-il selon vous des raisons de croire à une prochaine libération de Mohamed Bazoum ?

Ce que l’on peut dire en tout cas, c’est que les militaires sont méfiants. Et ils ont des raisons de l’être. Ils ont parfaitement en tête la manière dont ils sont arrivés au pouvoir et sont conscients de la manière dont ils pourraient le perdre. Pour eux, Mohamed Bazoum est une caution et presque une assurance-vie. Nous, nous disons qu’il s’agit ni plus ni moins que d’une prise d’otage, laquelle ne peut pas se poursuivre indéfiniment. Les militaires sont en train d’installer un état de non droit au Niger. Il faut donner de la voix pour mettre un terme à ces violations.

Mais comprenez-vous qu’une partie des populations sahéliennes aient décidé de soutenir les régimes militaires, lassées par des décennies de corruption et de mauvaise gouvernance ?

Les questions concernant la corruption et la mauvaise gouvernance sont tout à fait légitimes, mais les solutions proposées sont mauvaises. Le fait est qu’aujourd’hui, les détournements de deniers publics ont atteint un niveau critique, et se font désormais sous couvert d’impératifs sécuritaires dont les financements échappent à toutes règles et procédures, dans l’opacité la plus totale. Les libertés publiques n’ont jamais été aussi réduites, les droits aussi bafoués, la liberté d’expression piétinée, et cela en toute complicité de la justice.

Vous décrivez une justice aux ordres. Certains, au Mali, se réjouissent néanmoins que des hommes politiques soient poursuivis pour des faits de corruption…

Certes, mais il y a un problème de cohérence. Récemment, un ancien ministre de l’Énergie a été arrêté en lien avec l’entreprise de fourniture d’énergie EDM. Il a ensuite été placé sous mandat de dépôt et maintenant, il est en liberté. Mais alors quel est le motif qui l’a conduit en prison ? Et que s’est-il passé qui justifie qu’il soit désormais dehors ? Soit il n’y avait pas de raison de le placer en détention provisoire, soit il n’y avait pas de raison de le libérer.

Je maintiens que le nombre d’affaires judiciaires qui éclate est le signe d’une domestication de la justice malienne au profit d’un régime qui en fait un outil de chantage et de pression contre ses adversaires.

La Cedeao a acté le départ des pays de l’AES. Quel regard portez-vous sur ce divorce, qui semble désormais inévitable ?

Comment une junte militaire, tout à fait illégitime, peut-elle s’octroyer le droit de prendre une telle décision au nom d’une nation qui ne l’a pas élue ni même mandatée ? Et cela sans consulter les Maliens ?

La Cedeao n’est pas sans reproche, c’est vrai. Mais au moins nous permet-elle de nous déplacer librement, d’exercer un métier dans un pays ou un autre et de nous considérer comme des citoyens communautaires.

Elle nous donne accès à l’énergie, permet la circulation de biens par voies terrestres ou maritimes, assure aux citoyens que l’assurance de leur véhicule prise au Mali est valable au Bénin, au Togo ou au Burkina Faso. Elle permet à des Sahéliens d’être des fonctionnaires internationaux sans que la question de la nationalité ne soit un obstacle. C’est de tout cela que l’on sera privé désormais.

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