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Occupation des territoires palestiniens : à quoi sert l’avis de la CIJ ?

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Le 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu un avis consultatif sur les « conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». Très attendu, ce texte débouche sur une position historique, à contre-courant des pressions politiques.

Les conclusions des juges sont aussi claires que sévères à l’égard de Tel Aviv. L’occupation, qualifiée de « contraire au droit international » et d’ « illégale », doit cesser « le plus rapidement possible », estime la CIJ. Considérant Israël comme une « puissance occupante », la Cour demande qu’il soit mis fin aux politiques d’implantation de colons et d’exploitation des ressources naturelles. Elle aussi invite, en outre, la communauté internationale à ne pas reconnaître la présence d’Israël dans les territoires palestiniens occupés et à ne fournir ni assistance ni soutien à l’État hébreu.


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Quelle peut être la portée concrète d’une telle décision alors que les combats, qui se poursuivent à Gaza, menacent de se propager au Liban et alors que Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, entame une visite aux États-Unis afin de s’assurer du soutien de son plus fidèle allié ? Éléments de réponse avec l’universitaire Mondher Bel Hadj Ali, spécialiste du droit international.

Jeune Afrique : Que pèsent concrètement les avis consultatifs de la Cour internationale de justice ?

Mondher Bel Hadj Ali : Il existe un précédent dans la jurisprudence de la CIJ. Le 21 juin 1971, la Cour avait statué sur une question similaire, que lui posait l’Assemblée générale des Nations unies. Le sujet portait, à l’époque, sur la présence de l’Afrique du Sud en Namibie. Cet avis a substantiellement contribué faire accéder la Namibie à l’indépendance et au statut d’État membre des Nations unies. L’avis de la Cour a été, en son temps, synonyme de liberté et de souveraineté pour les Namibiens.

À la lumière de ce précédent, comment faut-il interpréter l’avis qui vient d’être rendu sur les territoires palestiniens ?


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Dans la droite ligne de ce précédent namibien, et après avoir décidé qu’elle était compétente pour traiter de la question et y donner suite, la Cour a considéré que « la présence continue de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite » au regard des règles du droit international et qu’Israël « est dans l’obligation de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais. »

La décision est historique dans son fondement. Elle se fonde sur le triptyque qui constitue la pierre angulaire du droit international contemporain : interdiction impérative du recours à la force, avec ses deux corollaires que sont l’interdiction d’acquérir des territoires par la force et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ainsi, la Cour acte le fait que le Territoire palestinien, c’est-à-dire expressis verbis [de façon explicite] la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, est un territoire occupé depuis le 5 juin 1967 [date du début de la guerre des Six-Jours].

La CIJ consacre l’intégrité du Territoire palestinien et, judiciairement, l’État palestinien comme État souverain. Le moment est historique.

Mondher Bel Hadj AliUniversitaire, juriste spécialiste du droit international

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Quels sont les messages qu’envoient les juges à l’État d’Israël ?

Dans son avis, la CIJ dénonce « l’expansion continue des colonies de peuplement [israéliennes] », qui « visent à établir des faits irréversibles sur le terrain, qui consolident l’annexion de parties importantes du Territoire palestinien occupé et font obstacle à l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple palestinien », pour arriver à une autre conséquence, qui s’impose : « L’État d’Israël est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, et d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé ».

Pour la Cour, « au regard du droit international contemporain tel qu’il est contenu dans la Charte des Nations unies et reflété dans le droit international coutumier, l’occupation ne peut en aucun cas être à l’origine d’un titre sur un territoire ou justifier l’acquisition de celui-ci par la puissance occupante ».

Ce faisant, la haute juridiction consacre l’intégrité du Territoire palestinien et, judiciairement, l’État palestinien comme État souverain. La Cour aura au passage relevé la pertinence en droit international de la coexistence de deux États à travers plusieurs résolutions onusiennes. Le moment est historique.

L’avis de la CIJ porte donc sur la qualification juridique de l’occupation, mais pas sur les accusations évoquées plus récemment, dont celle de génocide ?

Les violations graves et systématiques des droits humains, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ou encore le génocide ne faisaient pas partie des questions posées par l’Assemblée générale. Le sujet du génocide est toujours pendant devant la Cour dans le cadre de la plainte déposée par l’Afrique du Sud. Celui des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité est du ressort de la Cour pénale internationale (CPI), avec des mandats d’arrêt demandés par le procureur dans l’affaire de la guerre à Gaza.

Que dit précisément la CIJ à propos de l’occupation israélienne, et qu’est-ce qu’Israël devrait changer pour se conformer à cet avis ?

À la suite de la lecture de l’avis consultatif de la Cour, on ne peut s’empêcher de penser aux lois israéliennes d’annexion de Jérusalem-Est, aux lois d’annexion de pans importants du Territoire palestinien, d’expropriation, de spoliation de biens immobiliers des citoyens palestiniens et aux refus de permis de construire comme justification de l’expropriation. S’appuyant sur plus d’une vingtaine de résolutions de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité et sur des rapports d’instances onusiennes chargées de la protection des droits humains et des réfugiés, la CIJ a été d’une clarté remarquable.

En effet, à partir du moment où elle a constaté que certaines politiques et pratiques d’Israël n’étaient pas conformes au régime juridique régissant l’occupation, celles-ci constituent des violations du droit international et « engagent la responsabilité internationale d’Israël. »

Ainsi, outre l’obligation qu’a l’État d’Israël de mettre fin à l’illicéité [de sa présence] et de cesser immédiatement toute activité de colonisation, il « est « tenu d’abroger toutes lois et mesures créant ou maintenant la situation illicite […], ainsi que toutes mesures destinées à modifier la composition démographique de quelque partie de ce territoire. »

La CIJ a dit que tous les États ont l’obligation de « s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire ».

Mondher Bel Hajd AliUniversitaire, juriste spécialiste du droit international

Ce n’est peut-être pas le point le plus spectaculaire, mais, en se fondant sur l’avis de la CIJ, les Palestiniens pourraient demander des comptes à Israël, y compris sur le plan financier…

Pour la Cour, Israël a également l’obligation juridique « de réparer intégralement les dommages causés par ses faits internationalement illicites à toutes les personnes physiques ou morales concernées ». Ce faisant, la CIJ rappelle le principe, essentiel et conforme à une jurisprudence stable, selon lequel « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis ». Ce qui inclut, pour la Cour, « l’obligation pour Israël de restituer les terres et autres biens immobiliers, ainsi que l’ensemble des avoirs confisqués à toute personne physique ou morale depuis le début de son occupation, en 1967. » Il est de même pour les archives et les documents.

À qui s’adresse l’avis de la Cour ?

À l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité de l’ONU, car il leur appartient « de se prononcer sur les modalités requises pour veiller à ce qu’il soit mis fin à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et à ce que le peuple palestinien exerce pleinement son droit à l’autodétermination ». Elle s’adresse également à tous les États, qui ont pour obligation de « coopérer avec l’ONU pour donner effet à ces modalités ».

Le chef du gouvernement espagnol et ses collègues, qui ont décidé de reconnaître l’État de Palestine, n’avaient certainement pas tort. La Cour considère que les États membres des Nations unies sont tenus de « ne reconnaître aucune modification du caractère physique ou de la composition démographique, de la structure institutionnelle ou du statut du territoire occupé par Israël le 5 juin 1967, y compris Jérusalem-Est ».

À défaut de pouvoir obliger Israël à agir, la Cour trace donc des lignes rouges à l’intention des États membres ?

Elle impose l’obligation de distinguer, dans les échanges avec Israël, entre le territoire d’Israël au sens propre du terme et le Territoire palestinien occupé. Ceci « englobe notamment l’obligation de ne pas entretenir de relations conventionnelles avec Israël dans tous les cas où celui-ci prétendrait agir au nom du Territoire palestinien occupé » et de « ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence ». C’est une obligation de non reconnaissance de la présence illicite d’Israël sur le Territoire occupé.

Par ailleurs, tous les États ont l’obligation de « s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire ». Plusieurs États devront méditer sur l’idée que, désormais, le droit prime sur leurs orientations propres.

Cet avis est uniquement consultatif. A-t-il néanmoins un poids, et que vaut-il réellement en droit ?

Indubitablement, la Cour dit le droit, tant dans l’exercice de sa compétence contentieuse que dans l’exercice de sa compétence consultative. Et nous sommes bel et bien dans l’aboutissement d’une procédure consultative. Les deux compétences sont séparables et séparées. On ne saurait les confondre. Néanmoins, dans le cas d’espèce, la Cour dit le droit en déclarant illicite une situation sur laquelle elle a été consultée, tout comme le sont les colonies, avec pour Israël l’obligation d’y mettre fin « dans les plus brefs délais ».

La CIJ édicte en droit international des obligations de comportement à la charge des États, qui s’exposent à voir leurs responsabilités respectives engagées avec toutes les procédures judiciaires auxquelles on peut avoir recours en pareilles circonstances. C’est ce qui a amené le professeur Roberto Ago [1907-1995], qui fut juge à la Cour, président et rapporteur de la Commission du droit international, à réfléchir à la notion d’ « avis consultatif obligatoire ». Le débat est ressuscité. Le droit international contemporain est un ; la violence est protéiforme. Le droit se dresse aujourd’hui victorieusement contre toutes les manifestations de la violence dans l’ordre international.

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