Publié le 16 mai 2024
Lecture : 3 minutes.
Alors qu’une femme se trouve dans un aéroport en provenance du Maroc avec son fils, la douane demande à contrôler ses bagages. Dans ses valises, rien à signaler, mais une drôle d’ondulation sous son manteau alerte l’agent. La voyageuse retire son vêtement et on découvre ce qu’elle cache : des sachets remplis de reptiles, de batraciens, d’insectes et d’araignées. La scène d’introduction de Roqya, le premier long métrage de Saïd Belktibia, avec Golshifteh Farahani, nous met tout de suite dans l’ambiance : nous sommes plongés en plein film de genre.
Guérisseurs, sorcellerie et réseaux sociaux
Une roqya est « une invocation pour guérir un mal », est-il précisé dans le générique. Nour est une jeune femme qui vit de la vente d’animaux exotiques auprès de guérisseurs se revendiquant de toutes confessions religieuses. Séparée de Dylan, elle élève seule leur fils Amine. Son ex rechigne à payer la pension qu’il lui doit. Lors de la ruée vers l’or, ce sont les fabricants de pelle qui ont fait fortune, explique-t-elle à son fils. C’est pourquoi elle crée un nouvel outil pour développer son affaire : Baraka, un Doctolib des sciences occultes qui met directement en relation le client et le soigneur. La popularité de l’application explose mais les problèmes commencent quand un jeune homme exorcisé se défenestre. Nour est jugée sur la grande place publique virtuelle que sont les réseaux sociaux et le tribunal populaire informel la condamne pour sorcellerie…
Derrière l’action, des sujets de fond
Roqya est une vraie réussite qui tient sa première promesse, celle d’être un thriller palpitant. On a peur avec Nour, traquée par la horde de ses poursuivants, grâce à des plans de cinéma saisissants. De scène en scène, la tension monte et le spectateur est rattrapé par l’angoisse en même temps que les personnages. Impeccable sur le plan formel, Roqya aborde des sujets de fond : les guérisseurs, qui habillent de foi leur petit business florissant grâce à la crédulité et la détresse des gens ; les débordements sur les réseaux sociaux, ou comment le cyberharcèlement peut conduire à de véritables agressions physiques dans la rue et à un lynchage de groupe incontrôlable. Le réalisateur cite aussi, parmi ses inspirations, l’essai féministe de la journaliste et essayiste Mona Chollet : Sorcières : La puissance invaincue des femmes. Ainsi, ce n’est pas un hasard si la vindicte populaire s’acharne sur une mère célibataire et non sur les guérisseurs, des hommes.
Golshifteh Farahani et Nour, deux femmes en fuite
Dans l’histoire de Nour, on peut aussi lire celle de Golshifteh Farahani, l’actrice iranienne contrainte de fuir son pays en 2008 parce qu’elle était apparue la tête découverte lors d’une conférence de presse. Elle avait été victime des foudres des dirigeants, mais aussi de celles de la population. L’actrice s’est sans doute nourrie de son histoire personnelle pour habiter son personnage, seule contre tous. À ses côtés, l’humoriste Jérémy Ferrari s’illustre dans un rôle à contre-emploi : le jeune Amine Zariouhi se révèle en enfant tiraillé entre des parents qui se déchirent et Denis Lavant excelle en père largué et effrayé par son fils malade et violent. Avec un rythme effréné, une réalisation ultra-efficace, des sujets d’actualité et un casting convaincant, Roqya est un film qui divertit pendant la projection et fait réfléchir ensuite. Il révèle un réalisateur plein de promesses, Saïd Belktibia, guérisseur inspiré du cinéma d’action français.
Roqya, film de Saïd Belktibia, 1h36, dans les salles françaises le 15 mai 2024