Home Divers RSIFF 2024 – Une robe de mariée au cœur du Caire

RSIFF 2024 – Une robe de mariée au cœur du Caire

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Le film égyptien « The Inevitable Journey to Find a Wedding Dress », réalisé par Jaylan Auf, s’est imposé comme l’un des moments forts de la section « Festival Favorites » du Festival International du Film de la Mer Rouge (RSIFF), qui se tient du 5 au 14 décembre 2024. Ce premier long-métrage de fiction de la réalisatrice explore les thèmes de la résilience, de l’amitié et de l’émancipation féminine à travers une aventure captivante et riche en émotions.

 

Un synopsis qui transcende le quotidien

La veille de son mariage, Warda, une jeune femme de classe ouvrière, voit son rêve s’effondrer lorsqu’un accident ruine complètement sa robe de mariée. Avec l’aide de sa meilleure amie, Basma, elle entreprend une quête frénétique à travers les rues animées du Caire pour trouver une nouvelle robe à temps. Mais cette recherche désespérée se transforme en un voyage initiatique qui remet en question leur perception de la ville, de leur identité et de leur place dans une société en mutation rapide. Le film utilise la robe de mariée comme un puissant symbole, explorant des enjeux sociaux profonds dans un Caire qui devient lui-même un personnage central de l’intrigue.

Jaylan Auf : une visionnaire à l’écoute de ses personnages

Jaylan Auf, scénariste et réalisatrice égyptienne, n’en est pas à son coup d’essai. Après avoir étudié l’écriture de scénarios en Égypte et aux États-Unis, elle a travaillé comme productrice et assistante réalisatrice pour des cinéastes renommés. Son court-métrage Turning Ten (2018) a remporté le Prix Amnesty International au festival de Clermont-Ferrand. Avec The Inevitable Journey to Find a Wedding Dress, Jaylan Auf réalise un projet qu’elle a nourri et peaufiné pendant des années : « L’idée est simple : deux filles à la recherche d’une robe de noce. Mais plus une idée est simple, plus elle peut être profonde », explique-t-elle.

Jaylan Auf a réécrit le scénario 13 fois, tout en conservant la simplicité de l’histoire centrale. Les dialogues et les détails ont évolué, souvent inspirés par ses actrices principales, Yasmin Raeis et Asmaa Galal, qui ont contribué à enrichir leurs personnages grâce à une collaboration intense avec la réalisatrice.

« Pourquoi ce film ? » a déclaré la réalisatrice à l’issu de la projection. « Je travaillais sur un court-métrage, où il y avait des mariages, des mariées… J’y avais vu des problèmes énormes, mais malgré tous leurs problèmes, les gens trouvaient le bonheur dans des choses simples. Le rêve de la robe est juste un symbole ».

« Ces deux actrices, Yasmin Raeis et Asmaa Galal, sont pour moi les seules qui pouvaient jouer ces rôles. Pendant que je préparais mon film, je les avais rencontrées avant même de leur envoyer le scénario, je voulais les voir de près, les connaitre, pour voir si elles pouvaient convenir dans ces rôles. C’était plus d’un an avant le début du tournage. D’ailleurs, dans les dernières versions du scénario, ce sont elles que j’imaginais lorsque je pensais à Warda et à Basma. Et les deux actrices, à force de se connaitre et de connaitre leurs personnages, ont proposé plusieurs détails pour compléter leurs rôles » a-elle ajouté.

 

 

Le Caire : un personnage à part entière

Le film dresse un portrait saisissant du Caire, capturant ses multiples facettes à travers des décors réels. Jaylan Auf a choisi de tourner exclusivement dans les rues et dans des lieux authentiques pour retranscrire fidèlement l’âme de la ville. Les quartiers populaires, comme Shoubra, et leurs habitants deviennent le théâtre de scènes riches en émotions. Loin des studios et décors de tournage, les immeubles décrépis et les rues bondées servent de toile de fond à cette exploration sociale et culturelle. « Le Caire est omniprésent. Il révèle ses contradictions : un lieu où cohabitent solidarité et tension, espoir et résignation », affirme la réalisatrice.

Ce sentiment est particulièrement palpable dans une scène clé où les voisins du quartier, habituellement prompts à se disputer pour des futilités, se rassemblent pour aider Warda. Ils unissent leurs compétences et leurs ressources pour confectionner une robe de mariée en quelques heures seulement. Cette solidarité spontanée met en lumière la beauté des relations humaines au sein de communautés où l’entraide demeure une valeur essentielle.

Une fresque sociale et féminine

« C’est un film de femmes », déclare Jaylan Auf. En effet, chaque personnage féminin, qu’il soit principal ou secondaire, incarne une histoire unique. Du rêve de Warda à la résignation de la femme au poste de police, en passant par Hajja Alya, une couturière légendaire ayant habillé Elizabeth Taylor pour le film Cléopâtre, le film explore les multiples réalités des femmes dans une société patriarcale.

L’épisode de Hajja Alya, qui est un personnage réel incorporé au film, mériterait à lui seul une œuvre distincte. Cette costumière de cinéma conserve ses costumes dans un vieil appartement du Caire et regorge d’anecdotes fascinantes sur le cinéma, les feuilletons, et les grandes figures du septième art. Une scène particulièrement mémorable la montre refusant de louer à Warda une des robes de mariage utilisées dans le feuilleton dramatique Hajj Metwalli, invoquant le mauvais sort qu’elle pourrait porter. Dans le feuilleton, Hajj Metwalli épouse cinq femmes dont quatre cohabitent sous le même toit, une situation que Hajja Alya ne veut pas voir associée à Warda.

Un miroir des injustices sociales

Le film ne se contente pas d’être un voyage intime ; il dénonce également des problèmes sociaux profonds. Parmi les scènes les plus marquantes, on trouve celle d’une boutique de robes de mariées où, au sous-sol, des ouvrières sont exploitées pour fabriquer des robes luxueuses vendues à des clientes très fortunées dans le show-room à l’étage. Cette dualité entre exploitation et apparence, et entre classes sociales, met également en lumière l’hypocrisie de certaines pratiques commerciales. La patronne de la boutique triche sur la provenance de ces robes, qu’elle vend à des prix exorbitants en prétendant qu’elles sont importées d’Europe.

Une autre contradiction frappante est celle des jeunes filles achetant des sous-vêtements provocants et sexy pour la nuit de noces dans une société très conservatrice. Et lorsque des jeunes hommes découvrent accidentellement une nuisette achetée par Warda, cela déclenche une scène de harcèlement de rue d’une grande violence. Ce moment, terrifiant et bouleversant, rappelle tristement les scènes de harcèlement de masse qui ont marqué Le Caire au début des années 2010. Mais ici encore, comme dans la réalité, la solidarité se manifeste : des commerçants interviennent pour protéger les jeunes filles en les cachant dans leurs boutiques. Cette scène illustre à la fois les dangers omniprésents et les élans de solidarité qui caractérisent la vie au Caire.

Un message d’affirmation et de courage

Le contraste entre les deux protagonistes face à ces harcèlements et à l’adversité est éloquemment décrit : tandis que Warda cherche refuge dans son lit, accablée par un sentiment de culpabilité et de honte, Basma se dresse contre les normes sociétales en dansant seule dans un cercle de garçons hip-hop, proclamant son indépendance et son droit à exister pour et par elle-même, sans avoir besoin d’être chaperonnée ou protégée par un homme.

Un moment sympathique au festival

Lors de la deuxième projection, un moment symbolique a été organisé : toutes les femmes célibataires présentes dans la salle ont été invitées sur scène, et un bouquet de fleurs a été lancé, comme dans les mariages, ajoutant une touche de convivialité et de complicité au festival.

Avec The Inevitable Journey to Find a Wedding Dress, Jaylan Auf livre un film poignant et universel, porté par une réflexion subtile sur les enjeux sociaux, les rêves individuels et la complexité des relations humaines. Le Caire, avec ses contrastes, ses tensions et ses moments de solidarité, est à la fois le décor et le cœur vibrant de cette histoire. Ce premier long-métrage, à la fois intime et universel, annonce une carrière prometteuse pour cette réalisatrice talentueuse.

Neïla Driss

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