Depuis sa création, les Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) se sont imposées comme un rendez-vous cinématographique incontournable en Tunisie et dans le monde arabe. Fidèles à leur mission originelle, elles mettent en lumière des thématiques engageantes et des récits qui transcendent les frontières. Parmi ces engagements, le soutien indéfectible à la cause palestinienne a toujours occupé une place de choix, et cette 35ème édition ne fait pas exception.
Une année d’annulation et de controverse
En 2023, l’édition des JCC avait été annulée, une décision prise en solidarité avec le peuple palestinien, victime d’un massacre sanglant qui perdure depuis plus d’un an. Si cette démarche était motivée par un profond respect, elle avait suscité des débats parmi certains Palestiniens. Ces derniers estimaient qu’au contraire, maintenir le festival aurait été une manière plus efficace de soutenir leur cause, en leur offrant une tribune pour partager leurs narratifs et leurs voix. L’exemple du Festival du Film d’El Gouna, en Égypte, avait été cité comme un modèle de cette solidarité active.
Une édition réparatrice
Cette année, la direction des JCC semble avoir entendu ces critiques et s’est efforcée de rectifier le tir. Sous le thème La Palestine au cœur des JCC, le festival a conçu un programme riche et varié, témoignant de son engagement continu envers la cause palestinienne.
L’édition coïncide avec une période d’agressions persistantes contre le peuple palestinien. Refusant le silence face à ces injustices, les organisateurs ont mis en avant des œuvres et des initiatives qui résonnent avec la résistance, la mémoire et l’espoir. Le festival, plus qu’un événement culturel, devient ainsi un acte de résistance.
Un programme cinématographique engagé
L’épicentre de cet engagement se trouve sur l’avenue Habib Bourguiba, où le programme La Palestine au cœur des JCC propose une sélection de films palestiniens. Ces œuvres rassemblent des réalisateurs établis ayant déjà participé au festival et de jeunes talents en quête de reconnaissance. Le programme inclut également des films réalisés par des cinéastes non palestiniens, offrant des perspectives uniques sur la cause palestinienne.
Une exposition pour l’histoire
Une exposition consacrée à l’histoire du cinéma palestinien a été organisée pour l’occasion. Elle présente des archives de films, des photographies et des documents retraçant le parcours de martyrs de l’image, ces hommes et femmes qui ont sacrifié leur vie pour transmettre la vérité. Cette exposition met aussi en avant des extraits de films ayant remporté des Tanits ou marqué les éditions précédentes du festival, illustrant l’impact durable du cinéma palestinien.
From Ground Zero : Un événement marquant
L’un des points culminants de cette édition a été la projection du film d’anthologie From Ground Zero, présenté en marge du Festival de Cannes et actuellement shortlisté pour l’Oscar du Meilleur film international en 2025. Ce projet documentaire ambitieux, initié par le réalisateur palestinien Rashid Masharawi, réunit 22 courts-métrages produits en 2024 et tournés entièrement à Gaza. La première projection, qui s’est tenue sur l’avenue Habib Bourguiba, a suscité un tel enthousiasme qu’une deuxième séance a été programmée. Celle-ci se tiendra le 20 décembre à 17h00, à la salle Ibn Rachiq. La projection a également donné lieu à un débat animé entre Rashid Masharawi et le public, offrant un moment d’échange riche et inspirant.
Un panel pour réfléchir sur la résistance par l’image
Dans le cadre des initiatives visant à célébrer le cinéma palestinien, un panel a été organisé sous le thème Promouvoir les images palestiniennes aujourd’hui | Une réflexion sur la résistance par l’image. Ce panel a rassemblé des experts et des cinéastes pour discuter du rôle du cinéma dans la lutte et la transmission des récits palestiniens.
Une ouverture inoubliable avec Upshot
La soirée d’ouverture a été marquée par la projection du court-métrage Upshot (2024), réalisé par Maha Hajj. D’une durée de 34 minutes, ce film raconte l’histoire d’un couple palestinien vivant isolé dans leur plantation à Gaza. Ce couple passe son temps à parler de leurs enfants, qui vivent loin d’eux, partageant des anecdotes sur leurs carrières, leurs mariages ou leurs vacances. Leur quotidien, empli de ces discussions affectueuses, est bouleversé par l’arrivée d’un journaliste se présentant comme un ancien camarade d’école de leur fils aîné, Khaled. Il souhaite les interviewer à propos d’une expérience dramatique. Ce moment sert de catalyseur pour explorer des aspects cachés de leur histoire et dévoiler une réflexion profonde sur leur résilience face aux épreuves. Avec une subtilité narrative et une mise en scène délicate, Upshot a réussi à captiver et émouvoir le public, illustrant la résilience humaine face à l’adversité. Pour répondre à la forte demande du public, une nouvelle projection de ce film d’ouverture, Upshot, est prévue pour le 19 décembre à la salle Le 4eme Art, à 17h30.
Hany Abu-Assad : Un président de jury prestigieux
Pour cette édition, le jury des films de fiction est présidé par le réalisateur palestinien Hany Abu-Assad, connu pour ses films emblématiques comme Paradise Now (2005) et Omar (2013), tous deux nommés à l’Oscar. Son filmographie, témoignage poignant de la réalité palestinienne, sera mise à l’honneur avec la projection de trois de ses œuvres : Paradise Now, Omar (Tanit d’Or aux JCC 2024) et The Idol. Ces films incarnent la puissance du cinéma comme outil de résistance et d’expression.
Une Masterclass inspirante
Hany Abu-Assad a également animé une masterclass au cours de cette édition des JCC. Cet événement a offert au public et aux jeunes cinéastes une occasion unique de découvrir les coulisses de sa carrière et de ses créations, ainsi que sa vision sur le rôle du cinéma dans la transmission des récits palestiniens.
Le cinéma, une voix pour les opprimés
Plus qu’un art ou un simple divertissement, le cinéma est un moyen puissant de résistance et d’expression. Il transcende les frontières et les langues pour porter les voix des opprimés, révéler des vérités occultées et raconter des histoires que d’autres tentent de faire taire. À travers cette édition des JCC, dédiée en grande partie à la cause palestinienne, le cinéma s’affirme comme un témoin de l’histoire, un gardien de la mémoire collective et un outil de changement. C’est cette capacité unique de transmettre l’espoir et de transformer les récits en une arme de lutte pacifique qui fait du cinéma un levier essentiel pour bâtir un monde plus juste.
Neïla Driss