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À Lille, secousses dans les transports

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Un métro pour Noël. C’est le cadeau de fin d’année promis par Keolis. L’exploitant du réseau de transports publics Ilévia l’assure : le trafic reviendra vraiment à la normale en décembre. Pour les usagers, ce sera la fin de six mois de galère. Départs anticipés pour arriver à l’heure, recherche d’itinéraires bis, bousculades… « J’ai vu les gens ne plus pouvoir accéder aux quais et devoir attendre en haut des escalators », témoigne Mattéo Ferrux, à l’origine d’une nouvelle association de défense des usagers, MobiLille.

Tout a commencé cet hiver avec la découverte d’amiante par les salariés de Keolis sur les plus anciennes rames du métro, les VAL 206, qui circulent sur la ligne 2. « On s’est alors rendu compte que l’entreprise était au courant depuis 2018 mais qu’elle n’avait rien dit », souligne Anthony Kowalczuk, secrétaire général de la CFDT Ilévia. Il faudra le blocage de l’atelier Dron, fin mai, pour que l’inspection du travail procède à des analyses qui confirment la présence d’amiante, entraînant le retrait de 83 rames du service fin juin.

Chemin de croix

« L’amiante détecté en 2018 concernait des pièces sur lesquelles il n’y avait pas de raison d’intervenir. Les opérations de maintenance lors desquelles on en a trouvé cette année ne s’inscrivent pas dans un cadre habituel, car elles sont liées à la prolongation de la durée de vie de rames anciennes », nous confie Franck Garçon, directeur général de Keolis Lille Métropole, qui ajoute : « Les analyses d’air et de poussière sont formelles : il n’y a pas de fibres dans les ateliers. » Pas de quoi rassurer pour autant les techniciens, qui, soudainement contraints d’intervenir en combinaison intégrale et sous des bâches protectrices, s’interrogent sur les risques encourus pendant des années.

Quant aux usagers, s’ils ne sont pas en contact avec les pièces concernées (bas de caisse, gaines, châssis, garnissages de frein…), ils voient leurs déplacements se transformer en chemin de croix. Les opérations de désamiantage et les protocoles de sécurité mis en place retardent en effet la remise en circulation des rames et ralentissent drastiquement le trafic.

Début septembre, MobiLille lance une pétition afin de réclamer à Keolis le dédommagement des abonnés pour la période estivale. Malgré le soutien de plusieurs municipalités, dont celle de Lille, ils n’obtiennent que l’offre d’un abonnement annuel V’Lille.

« Même quand le service était très dégradé, il ne s’est jamais arrêté. La meilleure preuve, les JO et la braderie se sont bien déroulés, grâce notamment au renforcement de l’offre de bus », défend encore aujourd’hui Franck Garçon. Les usagers en appellent à la Métropole européenne de Lille (MEL), qui rétorque qu’elle n’a pas les moyens juridiques de contraindre l’exploitant.

« La MEL est l’autorité organisatrice de la mobilité et elle n’aurait pas autorité ? C’est une blague », fulmine Mattéo Ferrux. « La posture de la MEL est inaudible, soutient la députée Violette Spillebout (EPR). Ilévia est une filiale de la SNCF, qui a l’habitude de négocier avec les collectivités, il fallait instaurer un rapport de force commercial. »

Hausse des tarifs

Les usagers s’inquiètent aussi de l’augmentation à venir du ticket unitaire (2,20 € contre 1,80 aujourd’hui) et de l’abonnement mensuel (77,50 € contre 63) prévue dans la nouvelle concession de service public (CSP) attribuée à Keolis pour la période 2025-2031. Une réévaluation qui anticipe l’inflation et ne bougera plus, assure l’exploitant.

Keolis fait aussi valoir la baisse des seuils d’accès à la tarification solidaire et la gratuité pour les moins de 18 ans. La hausse des tarifs est censée répondre aux ambitions de la nouvelle CSP. Votée lors du conseil métropolitain du 18 octobre, elle prévoit une augmentation de 25 % du nombre de voyages sur le réseau par rapport à 2023 et un investissement d’un peu plus de 1,6 milliard d’euros.

Au programme dès 2026 : l’extension des plages horaires du métro et de la fréquence du tramway, un réseau de bus étoffé, le renouvellement des rames de tramway et l’arrivée des premières rames de 52 mètres… avec un retard de dix ans.

Commandées à Alstom en 2012 pour la somme de 610 millions d’euros, afin de transporter deux fois plus de voyageurs sur la ligne 1, elles devaient être mises en service en 2016. Mais les difficultés à faire fonctionner le nouveau système de pilotage automatique n’ont cessé de retarder leur livraison. Après avoir lancé deux médiations avec Alstom, la MEL a fini par saisir le tribunal administratif de Lille. Car la collectivité a un problème : les rames VAL 206 de la ligne 2 seront mises au rebut progressivement entre 2025 et 2027.

Elles devaient être remplacées par celles qui sont actuellement exploitées sur la ligne 1, où les nouvelles rames de 52 mètres devaient déjà rouler. En saisissant le tribunal administratif, la MEL voulait qu’Alstom soit condamné à lui fournir des rames pour la ligne 2 ; elle a été déboutée. Mais elle a obtenu une date de livraison : février 2026.

« La qualité de service sera-t-elle maintenue ? »

Contrainte d’acquérir de nouvelles rames, la MEL a mis en concurrence Alstom et Siemens, constructeur historique du métro automatique lillois. « Il est évident que le retard du 52-mètres a aggravé la crise du métro », souligne Jacques Richir, adjoint de Martine Aubry aux mobilités. Principal opposant au président de la MEL, Damien Castelain, Rudy Elegeest (DVG) confirme : « C’est pour prolonger la durée de vie des rames 206 que les travaux de maintenance lors desquels l’amiante a été découvert ont été lancés. »

Comme beaucoup d’autres, le maire de Mons-en-Barœul craint que la crise ne se prolonge en 2025 : « Entre les rames qui arrivent en fin de vie, celles retirées pour maintenance et l’arrivée des nouvelles rames, la qualité de service sera-t-elle maintenue ? »

Le courrier que Damien Castelain a adressé le 24 octobre aux élus de la métropole pour répondre à leurs interrogations n’est pas de nature à les rassurer. « La MEL n’a pas anticipé. Il s’est passé huit ans depuis le premier retard d’Alstom, et on savait que les VAL 206 devenaient obsolètes. Pourquoi la MEL n’est-elle pas allée au bout de la commande groupée proposée par Siemens aux villes possédant des métros VAL ? » se demande l’écologiste Stéphane Baly.

« Tant qu’on n’avait pas de date de livraison du 52-mètres gravée dans le marbre, on ne pouvait pas établir de stratégie d’acquisition », répond Sébastien Leprêtre, vice-président de la MEL chargé des transports. En réaction aux critiques, le maire (DVD) de La Madeleine rappelle que c’est la majorité actuelle qui rattrape le retard d’investissements dans les transports avec Extramobile, « un choc d’offres sans équivalent sur le territoire national ».

Ce nouveau nom du schéma directeur des infrastructures de transport regroupe les grands projets qui vont permettre de doter le réseau de quatre nouvelles lignes de tramway et de bus à haut niveau de service destinées à desservir, d’ici à 2035, 26 communes et 430 000 habitants.

Estimé à 2 milliards d’euros lors de son vote en 2019 (mais pas réévalué depuis), il est pour l’instant financé par une enveloppe de 120 millions d’euros promise en 2021 par le gouvernement Castex et par une participation de 50 millions d’euros du département du Nord. « Un mur d’investissements nous attend au prochain mandat et on n’a pas de phasage », tacle Stéphane Baly, qui n’hésite pas à remettre en cause la compétence des élus de la majorité métropolitaine.

L’une des métropoles les plus polluées de France

Dernier exemple en date, selon lui : le vote, lors du dernier conseil métropolitain, de la zone à faibles émissions qui sera mise en place à partir du 1 er janvier 2025. Tandis que la MEL s’était engagée à l’appliquer aux véhicules arborant les vignettes Crit’Air 4, 5 et non classées, le gouvernement a limité en 2023 son obligation aux seules non classées – un choix étonnant, alors que la métropole lilloise est l’une des plus polluées de France et compte 1 700 décès prématurés chaque année.

Se sont ensuivies, au premier semestre 2024, une consultation des citoyens – qui ont voté en majorité pour le premier scénario –, puis une consultation réglementaire des communes – qui ont préféré le second –, à laquelle la MEL s’est conformée. « Les communes ont tordu le bras à la métropole en faisant passer le social avant le sanitaire », regrette Sébastien Leprêtre.


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Pour les écologistes, le choix d’un périmètre trop large, incluant des communes mal desservies en transports en commun, a créé les conditions du rejet. Selon Rudy Elegeest, « l’épisode est symptomatique du fonctionnement de l’intercommunalité : les communes sont dans une logique de guichet. Il faut leur faire comprendre que l’intérêt général de la MEL n’est pas égal à la somme des intérêts particuliers ». Une chose est sûre : la question des transports s’annonce déjà comme l’un des principaux sujets des prochaines élections municipales et métropolitaines.

Menace sur le Serm
Héritier du RER Grand Lille imaginé par l’ex-président de la région Nord-Pas-de-Calais, Daniel Percheron, le Service express régional métropolitain des Hauts-de-France prévoit d’ici à 2040 le doublement de l’offre ferroviaire. Outre une meilleure fréquence sur les lignes existantes, une ligne sera créée entre Lille et Hénin-Beaumont, nécessitant l’aménagement d’une gare entre Lille Flandres et Lille Europe. Coût total : entre 7 et 9 milliards d’euros.
« Son financement n’est pas stabilisé mais le contrat de plan État-région assure les études jusqu’en 2027 », souligne Nicolas Merle. Le directeur du projet à la Société des grands projets est suspendu à la conférence de financement annoncée pour début 2025 par François Durovray. Le ministre délégué aux Transports a déjà prévenu qu’il faudrait prioriser certains projets au détriment d’autres, compte tenu des contraintes budgétaires. « On est en pleine circonspection. Et le modèle financier des régions ne permet pas de financer les Serm », alerte Christophe Coulon, vice-président des Hauts-de-France chargé des transports.
Nicolas Merle n’exclut pas de recourir aux subventions européennes, comme pour le canal Seine-Nord, et rappelle que les projets du Grand Paris n’avaient pas été remis en question, alors que le déficit était à l’époque de 1 point supérieur à celui d’aujourd’hui.

Nette amélioration dans les TER

« On s’est beaucoup fâché, mais la SNCF a réagi. » Vice-président des Hauts-de-France chargé des transports, Christophe Coulon se félicite de la normalisation du trafic des TER, sur lesquels les annulations et les retards ont été divisés par deux par rapport à 2022, année noire.

La région a reçu 19 trains de grande capacité (1 300 places), commandés en 2018, et en recevra 33 autres en 2025. Ils remplaceront les trains de Picardie qui remonteront dans le Nord et le Pas-de-Calais pourse substituer aux vieux trains de moindre capacité.

En revanche, ils ne suffiront pas à répondre à la hausse dela fréquentation des TER (195 000 voyageurs par jour), contraignant certains passagers à voyager debout, voire à rester à quai. Christophe Coulon observe donc de près la réservation obligatoire testée en Normandie et dans le Grand Est.

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