Home Finance « Ce projet de budget rappelle le choc fiscal de François Hollande »

« Ce projet de budget rappelle le choc fiscal de François Hollande »

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Professeur assistant à la Haas School of Business de l’université californienne de Berkeley, Antoine Levy est l’un des membres de la jeune garde de l’économie française. Nous lui avons demandé d’évaluer à chaud, les pistes budgétaires retenues par le gouvernement de Michel Barnier pour l’année 2025, qui ont été dévoilées ce jeudi 10 octobre. Voici son analyse.

Le Point : Que vous inspire le projet de loi de finances 2025 que vient de dévoiler le gouvernement ?

Antoine Levy : Il m’inspire de la surprise. D’abord parce que je pense qu’il révèle une vraie incompréhension de la part du gouvernement sur la nature du problème fiscal auquel la France est confrontée. Ensuite, parce que la plupart des mesures proposées dans ce projet sont soit temporaires soit non documentées. Mais aussi parce que nombre d’entre elles ciblent des dépenses ou des recettes favorables à l’activité tout en préservant celles qui sont les plus problématiques. Ce texte prétend faire porter l’effort aux deux tiers sur les dépenses et un tiers sur les recettes. Or, c’est faux ! L’effort qui nous est proposé porte en réalité aux trois quarts sur les recettes et pour un quart sur les dépenses, comme l’a d’ailleurs constaté le Haut Conseil des finances publiques.

Douze milliards d’euros de mesures dites de « baisse des dépenses » ne sont pas documentées. Et environ 10 milliards d’entre elles sont en réalité des hausses d’impôts déguisées. L’effort sur les retraites me paraît insuffisant. Certes, il est question d’une désindexation de six mois des pensions sur l’inflation, mais ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu, et il n’y a rien sur les régimes spéciaux. À l’inverse, il y a des augmentations de charges sur certains salaires, et des coupes dans les crédits de la recherche ou de la transition climatique. En résumé, on fait encore le choix de privilégier le passé sur l’avenir.

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Il y a bien quelques mesures qui vont dans la bonne direction, comme celles sur la désindexation des retraites, celles qui portent sur le verdissement de la fiscalité, ou bien sur une taxation plus neutre des locations Airbnb. Mais elles sont anecdotiques et elles ne rapporteront pas grand-chose. En parallèle, on voit une augmentation de la taxe sur l’électricité qui est contre-productive puisqu’en France l’électricité est largement décarbonée.

Ce projet permet-il vraiment d’engager le pays « sur la voie du redressement », selon la formule employée par les ministres Antoine Armand et Laurent Saint-Martin ?

Non. Premièrement, la plupart des mesures annoncées sont temporaires alors que l’enjeu pour la France est justement de résoudre un déficit structurel. Le FMI, les agences de notation, l’Union européenne et ceux qui nous prêtent s’intéressent en priorité aux mesures structurelles puisqu’elles sont les seules à même d’assurer la soutenabilité de notre dette publique. Deuxièmement, de nombreux dispositifs de ce plan vont aggraver le principal mal de notre pays, c’est-à-dire son coût du travail trop élevé et sa fiscalité trop lourde. Les baisses d’allègements de charges patronales, et les hausses d’impôts sur les hauts revenus, sont de nature à augmenter le coût du travail et donc, in fine, à faire monter le chômage.

Du reste, si on annonce des mesures fiscales temporaires sur les entreprises et les hauts revenus, on les incite à retarder la matérialisation de leurs recettes ainsi que la distribution des dividendes en attendant que la fiscalité s’améliore. Donc c’est un fusil à un coup, qui risque de frapper les revenus de 2024, mais qui ratera la cible pour les revenus de 2025. À bien des égards, ce projet rappelle le choc fiscal qu’on a connu lors du début du mandat de François Hollande. Or, il a abouti à une crise économique et a eu un effet limité sur les recettes.

Comment comprendre que Bercy évoque un effort de 60 milliards d’euros tout en annonçant que les dépenses publiques continueront d’augmenter l’an prochain ?

C’est un peu technique. Mais, pour le dire simplement, Bercy mesure l’effort par rapport à ce qu’aurait été le déficit l’an prochain si on n’avait rien fait. Selon le ministère des Finances, le déficit aurait été de – 7 % du PIB l’an prochain sans nouvelles mesures. En les prenant, dit-il, on le réduit à – 5 %. C’est une façon de raisonner qui exagère la mesure de l’effort. Ce serait mieux de raisonner comme le font la Commission européenne et le Haut Conseil des finances publiques, c’est-à-dire de raisonner en termes d’effort structurel sur les dépenses publiques. D’autant qu’à moyen terme, la France devra améliorer son solde structurel.

Il n’y a aucune annonce de réforme structurelle dans ce projet…

Non. Il n’y a aucun choix réel sur la baisse des dépenses de l’État. Or, tous les pays qui ont réussi à diminuer les dépenses publiques, que ce soit la Suède ou le Canada, ont fait des choix politiques sur la réduction du périmètre de l’État. Ces pays ont choisi de supprimer certaines missions de l’État. Encore une fois, le gouvernement français choisit la politique du « coup de rabot », or tous les économistes savent qu’elle ne fonctionne pas sur le long terme. C’est une chose parfaitement connue. Et sur les 40 milliards de baisses annoncées, encore une fois, 12 milliards des baisses ne sont pas documentées ! Donc pour le moment, elles sont inexistantes. Ce sont des incantations. De plus, on ne cible pas le principal poste, c’est-à-dire les retraites, qui représentent 400 milliards d’euros de dépense publique par an sur un total de 1 700 milliards. La désindexation proposée par le gouvernement fait reposer sur les retraites seulement moins d’un quinzième de l’effort. C’est l’échec assuré.

De nouvelles dépenses, dont l’extension du prêt à taux zéro, la hausse des crédits de La Poste et de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), ont été prévues. Sont-elles justifiées ?

Autant d’un point de vue comptable, les montants sont anecdotiques, autant du point de vue du symbole politique, c’est très maladroit. Cela donne l’impression qu’il est impossible en France de présenter un budget sans annoncer de nouveaux cadeaux ici et là. Étant donné la gravité du problème des finances publiques, cela me paraît très décalé et, pour tout dire, pas sérieux. D’autant que cela financera des missions qui n’augmenteront pas la croissance.

Un objectif de 5 % de déficit en 2025, après 6,2 % cette année, est-ce bien sérieux ?

C’est totalement inapproprié par rapport à la conjoncture économique mondiale et domestique, qui est plutôt bonne. En l’absence de choc externe, il n’y a aucune raison que la France voie son déficit déraper à ce point. Au contraire, dans le contexte actuel, nous devrions être en train de faire des réserves pour pouvoir répondre aux chocs futurs. Notre déficit devrait donc être entre – 3 % et – 2 %. Certes, le gouvernement dépend d’une coalition hétéroclite et est sous contrainte politique. Mais je pense qu’il y a aussi une forme de nonchalance à Bercy. On l’a vu dans sa non-capacité très étonnante à prédire le niveau de déficit pour 2024. Il semblerait que ses hauts fonctionnaires n’ont toujours pas pris conscience que les taux d’intérêt ont augmenté et que l’environnement financier a changé. Depuis que le Portugal ou la Grèce empruntent à des taux inférieurs aux nôtres, l’argument de la qualité de la signature de la France n’est plus valide.

Si vous deviez proposer une mesure de baisse des dépenses publiques, laquelle choisiriez-vous ?

Le niveau de vie des retraités étant en France supérieur à celui des actifs, ce qui est à la fois une exception en Europe et une aberration économique, je propose de désindexer durablement les retraites sur l’inflation. Cela pourrait se faire en restreignant la mesure aux gens au-dessus d’un certain niveau de vie. Mais il faudra prendre en compte que le niveau de vie est plus élevé pour les propriétaires qui ont remboursé leurs emprunts immobiliers. L’indexation en période d’inflation normale coûte environ de 8 à 10 milliards d’euros à la collectivité. Les retraites situées au-dessus du niveau de vie médian représentent environ 70 % du montant total, donc, avec une inflation autour de 2 %, on peut espérer un gain de 6 à 7,5 milliards d’euros par année de désindexation.


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