Home Finance « Emmanuel Macron est sans aucun doute une personnalité de type P »

« Emmanuel Macron est sans aucun doute une personnalité de type P »

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Par définition, un dirigeant d’entreprise qui règne sur une société forte de plusieurs milliers de salariés n’a pas le temps… d’écrire un livre. Non, vraiment pas le temps, parce que son quotidien survolté est rythmé par des cadences infernales de réunions, de séminaires, de rendez-vous en tous genres, de déjeuners d’affaires, de déplacements incessants, en France, à l’étranger.

Mais il faut croire qu’il y a toujours quelques exceptions à la règle, et Bruno Angles le prouve. Polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, ce fort en thème a dirigé de grands noms du capitalisme hexagonal et international, les Autoroutes et Tunnel du Mont-Blanc, Vinci Énergies, Macquarie France, Credit Suisse France et Belgique. Il est aujourd’hui directeur général du groupe AG2R La Mondiale et il vient de sortir un ouvrage foisonnant – De Temps en temps. Les multiples visages d’un trésor – à la fois très érudit et très personnel sur un thème qui le fascine depuis l’enfance : le temps.

En bon ingénieur qui se respecte, il consacre une partie de son ouvrage à l’étude de la nature profonde du temps, convoque les astrophysiciens, la physique quantique, les philosophes, les artistes et les Sages. Mais, lui-même étant, à titre personnel, très conscient depuis toujours que le temps est une ressource éminemment précieuse, il nous explique comment en faire le meilleur usage pour être le plus heureux possible. Un joli programme à même d’intéresser le plus grand nombre…

Lenteur bienfaisante

Le temps est un pouvoir dans nos mains jusqu’au jour où nous nous en remettons aux siennes. Le confinement de 2020 a complètement bouleversé notre rapport au temps : les jours, les semaines et, finalement, les mois ont suivi un rythme que nous-mêmes, bien souvent, avons eu du mal à suivre.

Notre usage du temps (entre quatre murs), nos sentiments liés au temps (l’impatience, l’ennui), notre perception du temps qui s’écoule (lenteur bienfaisante, rapidité angoissante), le caractère crucial du temps comme donnée centrale de la crise (vitesse de la propagation du virus, durée de développement des vaccins, espérance de vie des patients), tout en a pâti.

Ce livre est donc le récit et le recueil de ce que l’auteur a appris sur le temps, en tant qu’être humain, père de famille, citoyen et dirigeant d’entreprise. Le lecteur y trouvera des conseils, des perspectives, de quoi nourrir ses propres réflexions.

Le Point : Vous venez de publier un livre consacré au temps. Pourquoi le patron d’AG2R La Mondiale, polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées que vous êtes s’intéresse-t-il à ce thème ?

Bruno Angles : Ce sujet me passionne depuis toujours. J’ai rassemblé dans cet ouvrage mes réflexions autour du temps, interrogeant les aspects astrophysiques, philosophiques, le rapport entre le temps et le pouvoir, le temps et l’argent, etc. Quand j’étais enfant, je piétinais en attendant la rentrée scolaire, contrairement à nombre de mes camarades… J’adorais parce que, le premier jour d’école, on recevait notre emploi du temps pour l’année. C’était un immense plaisir de pouvoir me projeter sur les mois à venir.

À la suite du premier confinement, au printemps 2020, j’ai décidé d’écrire sur ce thème. En effet, on a tous vécu une expérience dans laquelle le temps était distordu, il ne s’écoulait pas de la même manière que d’habitude. Plus lentement ou plus rapidement ? Je ne sais pas trop. Mais cela m’a donné une conscience renforcée qu’il fallait bien utiliser son temps.

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Bien gérer son temps, c’est choisir sa vie et construire son bonheur. Beaucoup de gens dans la vie courante disent : « Ah non, là, je n’ai pas le temps. » Mais on a tous, sur Terre, la même quantité de temps disponible chaque jour, à quelques exceptions près… Les grands insomniaques, par exemple, ont un avantage compétitif indéniable sur ceux qui ont besoin de sept à huit heures de sommeil par nuit. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si de grands personnages historiques étaient insomniaques.

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Il n’y a pas de bonne et de mauvaise façon de consommer son temps. Il faut, en fonction des objectifs personnels que l’on poursuit, leur allouer le temps nécessaire. Cela paraît simple, mais le faire de manière pertinente n’est pas si évident. Dans mon livre, je cite l’exemple d’un camarade. Lorsqu’on était en prépa, on avait tous les deux le même objectif : intégrer une école d’ingénieurs. Nous consacrions donc tout notre temps à la préparation des concours.

Quelques années plus tard, cet ami a décidé de devenir moine et j’ai choisi de fonder une famille et de devenir chef d’entreprise. Aujourd’hui, nous avons tous les deux des allocations du temps très dissemblables puisque l’on poursuit des objectifs différents… Ce qui est vraiment primordial, c’est d’éviter la near-life experience.

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C’est un concept anglo-saxon qui est une analogie de la near-death experience, ce que l’on appelle en français l’expérience de mort imminente [des gens qui frôlent la mort, puis reviennent à la vie, NDLR]. Le risque de near-life experience consiste à réaliser sur son lit de mort qu’on est passé à côté de sa vie.

Pour éviter de se retrouver dans cette situation terrible, pour ne jamais avoir à se dire « j’ai eu 70, 80, 90 années de vie et je me rends compte au dernier moment que je n’ai pas utilisé ce temps comme je l’aurais souhaité », il faut apprendre à gérer son temps, en fonction d’objectifs définis.

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Selon moi, cela se joue à deux niveaux : à la maille de l’année et à celle de la journée. En tant que dirigeant d’une entreprise de la taille d’AG2R La Mondiale, dotée de structures de gouvernance complexes, une partie importante de mon temps est consacrée à des réunions de conseils d’administration, de comités spécialisés, d’assemblées générales. Il y a aussi des déplacements sur le terrain programmés.

Chaque année en juillet, je cale mon agenda de l’année suivante. Quand on fait cet exercice à l’année, il faut s’assurer que cela laisse un minimum d’espace de respiration, parce que, par ailleurs, au-delà de ces obligations de gouvernance, il faut suffisamment de temps pour manager les équipes, pour impulser et suivre les projets critiques. Et puis, à l’échelle de la journée de travail, je prépare ce que j’appelle un plan de journée.

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Chaque soir vers 18 heures, je prends une feuille de papier A4 que je découpe verticalement en deux. Sur la partie gauche, j’essaie de visualiser ce que sera ma journée du lendemain en dessinant des blocs à l’échelle du temps qui seront consacrés à chaque tâche. Attention, c’est un exercice très différent d’une to-do list, qui est un catalogue de choses à faire en face desquelles on n’alloue pas de budget temps.

Avec mon plan de journée, je visualise mes obligations, je jongle avec les interstices disponibles, les coups de fil, les mails compliqués, le rendez-vous imprévu chez le dentiste… Je regarde si, sur le papier, ça passe… Et, si cela ne fonctionne pas sur le papier, il n’y a aucune chance que cela puisse l’être dans la vraie vie. Conclusion, il y a des tâches auxquelles il va falloir renoncer…

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Cela renvoie à un autre outil que j’utilise, la matrice « important et urgent ». Explications : si c’est important et urgent, je n’ai pas le choix, je dois exécuter cette tâche ; si c’est important mais pas urgent, je programme du temps dans l’agenda pour le faire plus tard ; si c’est urgent mais pas important, je délègue cette tâche à quelqu’un d’autre ; si ce n’est ni important ni urgent, je laisse tomber.

Tout cela paraît simple et évident, mais établir ce plan de journée me demande un petit investissement quotidien en temps, environ quinze minutes par jour. Mais, une fois que je l’ai fait, je sais que je vais être capable de maîtriser ma journée du lendemain malgré sa complexité et la multiplicité des sollicitations que je reçois.

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Dans la vie, il y a deux ressources rares : le temps et l’argent. Mais le temps est une ressource beaucoup plus égalitaire que l’argent. Si vous prenez le patrimoine moyen des Français et que vous le comparez au patrimoine de l’homme le plus riche de France, vous avez un facteur de 1 à 1 million.

Si vous prenez la ressource du temps avec Gavroche, d’un côté, ce personnage de roman qui meurt sur les barricades à 12 ans, et, de l’autre côté, Jeanne Calment, qui meurt à 120 ans, vous avez un écart important, bien sûr, mais le facteur n’est que de 10. Le temps est beaucoup plus égalitaire dans sa rareté.

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L’expression vient de Benjamin Franklin, elle remonterait à 1748. Dans l’esprit de Franklin, le temps, c’est de l’argent [Time is money, NDLR], parce qu’il a une vision utilitaire du temps. Si l’on a une heure devant nous, on peut gagner le produit d’une heure de travail. Et, si on ne l’utilise pas, ça veut dire qu’on a manqué une opportunité de créer de la valeur. Mais il y a, bien sûr, différents moments de la vie.

Prenez la retraite, par exemple. Le jour où les gens partent à la retraite, c’est une reprogrammation complète de la façon d’utiliser son temps. Du jour au lendemain, on n’a plus un agenda qui est prérempli par les obligations professionnelles. C’est donc très important d’avoir bien réfléchi à ce que l’on veut faire de cette nouvelle étape de sa vie, en fonction d’objectifs que l’on se donne. Il faut éviter d’avoir à se retrouver avec un sentiment d’agenda vide, d’oisiveté contrainte. On parle parfois pour les parents dont les enfants ont quitté le foyer familial du syndrome du « nid vide », je crois qu’il y a aussi le syndrome de l’agenda vide.

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Il y a une chanson d’Étienne Daho que j’aime beaucoup et qui s’appelle « Le Premier Jour (du reste de ta vie) ». Autrement dit, le passé, c’est le passé. Chacun a fait des choix d’allocation de son temps, bons, pas bons, c’est derrière nous. On peut changer sa manière d’allouer son temps à tout moment. Pour le dire de manière un peu provocatrice, en empruntant un terme financier, nous sommes tous en permanence des traders de notre propre temps. Sans en avoir forcément conscience, nous sommes sans arrêt en train d’arbitrer sur telle ou telle occupation, telle ou telle tâche.

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Je pense que les outils digitaux, les réseaux sociaux peuvent être la meilleure ou la pire des choses. Mais cela nous permet, bien souvent, de gagner en efficacité. En effet, pendant que vous êtes dans le métro, vous pouvez prendre rendez-vous avec votre médecin sur Doctolib, répondre à des mails importants, écrire un texto sur la boucle WhatsApp familiale, etc.

Donc cela a indéniablement une valeur, mais cela comporte aussi des risques de fragmentation extrême du temps et le fait est que, si l’on est trop multitâche, au bout d’un moment, on perd en qualité du temps investi sur une tâche. C’est quand même compliqué de faire deux choses à la fois, regarder un film et écrire des textos à ses amis… Il faut donc réussir à tirer parti de ces outils digitaux et de leur efficacité sans tomber dans la frénésie et se ménager des plages de temps au cours desquelles on s’astreint à être concentré sur une seule et unique tâche.

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Le temps et la politique, c’est intéressant. Dans mon livre, je raconte une anecdote sur un ministre qui avait pour habitude de faire délibérément attendre tous ses visiteurs. Plus la différence hiérarchique était grande, plus il faisait patienter son interlocuteur. Si c’était un homologue du gouvernement, il le faisait attendre dix minutes ; si c’était un parlementaire, il le faisait attendre vingt minutes ; si c’était un quidam, il le faisait attendre une demi-heure… Juste pour montrer que son temps à lui était plus important que celui de l’autre.

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Oui, bien sûr. Il y a aussi une autre dimension, plus personnelle à chacun, qui a à voir avec la personnalité. Connaissez-vous le test de personnalité Myers-Briggs Type Indicator, dit MBTI ? Il permet de mieux se connaître soi-même et de fonctionner plus efficacement en équipe. Il met au jour deux types de personnalité : les J et les P. Les J sont des personnes qui aiment planifier leur vie. Et, une fois qu’ils l’ont planifiée, ils exécutent d’une façon quasiment militaire ce qu’ils ont décidé. Les P sont, à l’inverse, des gens qui aiment retarder le plus longtemps possible la prise de décision et qui donc rechignent à toute forme de planification. Ils veulent retarder la décision car, consciemment ou non, ils pensent qu’en attendant un peu plus pour décider ils auront rassemblé plus d’informations et prendront donc une meilleure décision.

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Tout ce que l’on peut observer de son mode de fonctionnement tend à montrer qu’il est de type P, qu’il aime prendre son temps avant de décider. On le voit, par exemple, sur les remaniements ministériels. Mais on l’a vu aussi au moment de la pandémie de Covid-19. Le président de la République s’est personnellement investi dans le détail du pilotage de la crise du Covid. Avant les grandes conférences de presse, jusqu’à la dernière minute, on ne savait pas exactement quelles allaient être les décisions parce que, précisément, il considérait, comme le font les P, que cela ne sert à rien de décider trois jours avant, ou même six heures avant, ou même une heure avant…

En effet, jusqu’à cinq minutes avant l’échéance, on peut toujours avoir une information nouvelle qui nous fera prendre une meilleure décision. Je pense que, dans ce contexte du Covid, où on était dans une situation pleine d’incertitudes, c’était plutôt une chance pour le pays d’avoir un P et pas un J à la tête de l’État. En revanche, une fois les décisions prises, par exemple pour la mise en place de la campagne de vaccination, on a besoin d’avoir des J pour les exécuter de manière efficace.

« De Temps en temps. Les multiples visages d’un trésor », de Bruno Angles, éditions du Cerf, janvier 2024, 226 pages, 22 euros.


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