France cherche champion technologique désespérément

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Deux des trois agences de notation les plus influentes sur les marchés financiers, Fitch Ratings et Moody’s, ont mis à jour leur évaluation de la solvabilité de la dette publique française, le 26 avril. Cette révision de la note financière de la France a lieu tous les six mois. Plus de peur que de mal : la France a échappé à une sanction et les deux agences ont maintenu leurs notations, ainsi que leurs perspectives, inchangées. Standard & Poor’s (S & P), considérée comme l’agence la plus influente de toutes, livrera, quant à elle, son verdict vendredi 31 mai. Avant cette échéance, Le Point vous propose une série en cinq épisodes pour tout comprendre de la situation des finances de la France.

Une dette publique à 111 % du PIB, un déficit à 5,5 %… L’endettement de la France s’est envolé ces dernières années. C’est aussi le cas aux États-Unis, où la dette publique est encore plus élevée : à 125 % du PIB. Le déficit américain, quant à lui, atteignait 6,3 % en septembre. La comparaison devrait jouer en faveur de la politique économique d’Emmanuel Macron. Pourtant, force est de constater que la France ne peut pas se vanter de parvenir aux mêmes résultats que les Américains… Outre-Atlantique, Amazon, Meta, Google ou encore Microsoft drainent l’économie. La France, de son côté, n’a aucun champion technologique.

« On accuse un retard massif. Dans la quasi-totalité des grands secteurs technologiques, les chiffres ne parlent pas pour nous », se désole André Loesekrug-Pietri, président de la Joint European Disruptive Initiative (Jedi), précurseur d’une agence européenne d’innovation de rupture sur le modèle de la Darpa américaine.

À LIRE AUSSI Comment la France essaie de revenir dans la course à l’IAAvant de dérouler : « Dans le spatial, il n’y a eu que trois lancements européens en 2023 comparés à plus de quatre-vingt-quinze réalisés par SpaceX. Dans le cloud, la part de marché de l’Europe est passée de 30 à 15 % en cinq ans. Dans la fusion nucléaire, sur les 32 start-ups, seulement 3 sont européennes et aucune n’est française. Microsoft vaut aujourd’hui plus que tout le CAC 40 réuni, en a-t-on pris conscience ? Dans le domaine de l’IA, on a plein d’espoir mais ça reste assez héroïque de la part de Mistral AI d’essayer de concourir face à dix licornes américaines… »

« Mise en œuvre trop lente, trop bureaucratique »

Comment expliquer un tel retard ? « Déjà, on n’est pas en mesure d’avoir les mêmes niveaux de financement que sur le marché américain », estime Olivier Ezratty, auteur et enseignant en technologies quantiques. Les États-Unis, en effet, fonctionnent avec un système de retraite par capitalisation : les salariés épargnent eux-mêmes pour leur retraite.

Les fonds privés disponibles pour l’investissement – notamment sur les nouvelles technologies – sont donc considérables, à l’inverse de la France, qui bénéficie d’un système par répartition, géré par l’État. Une situation aggravée par le retard économique majeur qui se creuse entre l’Europe et les États-Unis.

À LIRE AUSSI EXCLUSIF. Rencontre avec Arthur Mensch, prodige français de l’IA et cofondateur de Mistral AIMais ça coince aussi au niveau de l’investissement public. « On fait des discours ambitieux mais on pèche par une mise en œuvre trop lente, trop dispersée, trop bureaucratique », regrette André Loesekrug-Pietri. Il estime que le problème ne vient pas du manque de financement public, mais plutôt de la manière dont ces fonds sont utilisés.

« Par exemple, 750 milliards d’euros ont été levés par le mécanisme de dette commune mis en place en Europe pendant le Covid. Mais sur ces 750 milliards, nous n’en avons véritablement dépensé qu’un tiers au bout de quatre ans ! N’importe quel dirigeant qui aurait eu de l’argent pour faire face à une crise et n’en aurait dépensé que 31 % aurait été viré sur-le-champ ! » insiste l’entrepreneur franco-allemand.

Une région « économiquement fragmentée »

Autre écueil : l’absence de choix de nos dirigeants quant aux technologies sur lesquelles investir. « Les succès de demain ne sont pas basés sur les technologies d’aujourd’hui. Ça veut dire qu’il faut être capable de faire des paris sur quelques domaines technologiques où on pense pouvoir tirer notre épingle du jeu », explique Olivier Ezratty. « Le pays donne l’impression de vouloir être bon partout », regrette le consultant spécialiste du quantique. « On fait du saupoudrage généralisé », estime André Loesekrug-Pietri.

La France pâtit aussi d’un marché beaucoup plus petit – et donc moins attractif – que le marché américain. « Le marché américain est aussi grand que le marché européen en entier et il présente l’avantage d’être plus homogène, avec une seule langue et une seule culture. Donc, lorsqu’une entreprise américaine se lance, elle a accès d’emblée à un marché intérieur très grand, qui pèse pour un tiers du marché numérique mondial », rappelle Olivier Ezratty.

Le marché européen, de son côté, représente un quart du marché numérique mondial. Et c’est une région « économiquement fragmentée ». « Les méthodes de marketing doivent être adaptées si une entreprise passe d’un pays à l’autre. Les médias et les grands acteurs économiques ne sont pas les mêmes », détaille Olivier Ezratty. L’Europe a bien essayé de créer un marché unique. « Mais c’est une illusion », estime André Loesekrug-Pietri, en citant l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta.

Crainte de la prise de risque

L’Europe pèche aussi par son manque d’anticipation. « On ne passe pas assez de temps à imaginer le coup d’après », martèle le président et directeur scientifique de Jedi. « Il faut accepter de prendre des risques financiers sur le long terme pour des projets, ce que les Américains sont plus facilement prêts à faire », abonde Olivier Ezratty.

Sans surprise, la bureaucratie trop lourde en France peut aussi freiner les projets ambitieux. « Un célèbre Prix Nobel m’a dit qu’il passait un tiers de son temps à remplir des dossiers… Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure utilisation du temps d’un Nobel », ironise André Loesekrug-Pietri.

À LIRE AUSSI Bruno Bonnell : « L’objectif de passer la part de l’industrie dans le PIB à 15 % en 2030 est parfaitement atteignable ! » Résultat : les entreprises américaines rachètent les sociétés européennes les plus innovantes. « C’est difficile de se faire racheter avec une bonne valorisation en Europe donc elles se font racheter par des Américains et la valeur économique, si ce n’est intellectuelle, part aux États-Unis et n’enrichit pas le territoire français », note Olivier Ezratty.

Mais tout n’est pas noir pour autant. « On a un patrimoine scientifique de très bon niveau en Europe », souligne Olivier Ezratty. « On a aussi quelques leaders européens comme Dassault Systèmes sur la conception par ordinateur, STMicroElectronics et ASML sur les semi-conducteurs et SAP dans les logiciels. Cela démontre qu’il est possible de créer des leaders technologiques à partir de l’Europe », argue le spécialiste.

« La bonne nouvelle, c’est que cela ne dépend que de nous de vraiment changer de méthode, de faire confiance à des acteurs de la société civile, d’aller beaucoup plus vite, et d’agir à la hauteur de nos ambitions – pour éviter que l’Europe ne devienne un trou noir technologique », conclut André Loesekrug-Pietri.

3 101,2 milliards
C’est le montant de la dette publique de la France à la fin de l’année 2023.


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