Patrick Cohen n’a décidément pas de chance. À chaque fois que son nom est avancé pour reprendre un micro à Radio France, il trouve un obstacle sur son chemin. L’année dernière, l’obstacle s’appelait Laurence Bloch, directrice des antennes et de la stratégie éditoriale du groupe public. Elle s’était opposée in extremis au recrutement par France Info de l’ancien présentateur de la matinale de France Inter (2010-2017) et actuel chroniqueur de l’émission C à vous, sur France 5. La PDG Sibyle Veil avait dû rétropédaler et le patron de France Info, Jean-Philippe Baille, avait trouvé un plan B en recrutant Jérôme Chapuis.
Cette fois, c’est l’annonce de l’arrivée de Patrick Cohen pour reprendre l’éditorial politique de 7 h 44, jusqu’ici assuré par le chef du service politique, Yaël Goosz, qui crée des tensions. Le journaliste étant moins marqué à gauche que son prédécesseur, on peut y voir une volonté de recentrer un peu la ligne éditoriale de la première radio de France.
Adèle Van Reeth critiquée
Ce sont surtout les méthodes employées par la directrice de France Inter, Adèle Van Reeth, pour annoncer ce changement qui ont agacé en interne. Chef du service politique, Yaël Gooz a été averti dans la précipitation mercredi 10 juillet à 10 h 15. « Il pensait qu’on allait lui parler des primes pour le service politique après une séquence d’actualité épuisante. Au lieu de cela, on l’a déboulonné en deux minutes, alors que, ces derniers mois, il a mené de front la responsabilité du service politique, l’édito tous les matins et les entretiens politiques en binôme avec Nicolas Demorand. C’est d’une brutalité sans nom », s’emporte une journaliste de la rédaction.
Toujours mercredi, la révélation à la mi-journée par Le Parisien du remplacement de Yaël Goosz par Patrick Cohen a fini d’énerver. « On ne procède pas de cette manière, c’est irrespectueux pour les employés », insiste un autre membre de la radio publique.
Adèle Van Reeth avait déjà fait l’objet de critiques en interne comme en externe pour son manque de solidarité envers la PDG de Radio France, Sibyle Veil, lors de la suspension en mai de Guillaume Meurice. L’humoriste – licencié par la suite – avait réitéré ses propos sur le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, qu’il qualifiait d’« une sorte de nazi mais sans prépuce ». Lors d’une interview à BFMTV, le compagnon de la directrice de France Inter, Raphaël Enthoven, avait affirmé, sans préciser son lien avec Adèle Van Reeth : « La décision de Radio France me paraît excessive, difficilement justifiable […] Que la présidence de Radio France invoque la discipline et comme Zeus brandit la foudre et remette 20 balles dans la machine. Il n’y avait pas lieu de le virer pour cette raison-là. »
« Drôle de conception de la liberté de l’information »
Pour tenter d’apaiser les esprits, la directrice de la station publique est venue à la rédaction avec Marc Fauvelle, le directeur de l’information, pour justifier le remplacement à l’édito politique de Yaël Gooz. « Le cumul de fonctions était devenu compliqué », a-t-elle fait valoir en substance. Sans convaincre. « Prétendre qu’un éditorialiste maison n’aurait pas les coudées franches pour faire son travail parce qu’il est aussi chef du service politique de la station est non seulement fallacieux mais aussi très inquiétant. Comme s’il fallait être extérieur à la maison pour s’exprimer librement sur cette antenne ! Drôle de conception de la liberté de l’information et de l’indépendance du service public », s’offusque une lettre remise par les représentants de la Société des journalistes de Radio France, du SNJ et de la CGT, à la présidente de Radio France.
À LIRE AUSSI « Vous auriez dû licencier Guillaume Meurice en octobre ! » : mais que se passe-t-il à Radio France ? Le texte de la motion de défiance, signé par 75 titulaires de la rédaction (en CDI), dénonce plusieurs « décisions incompréhensibles prises par la directrice de France Inter ces derniers mois » et l’impossibilité à « continuer à lui faire confiance pour diriger cette radio ».
La direction de France Inter a précisé qu’elle mettait fin au Grand Dimanche soir de Charline Vanhoenacker, en public le dimanche, malgré des audiences en forte hausse sur la tranche ; à la rentrée, Charline Vanhoenacker reviendra dans la matinale avec une chronique d’humour politique entre 9 h 35 et 9 h 40. Pas de quoi calmer les inquiétudes.
La rédaction de la radio publique est épuisée par dix mois de psychodrame autour du licenciement de Guillaume Meurice qui a été instrumentalisé tant à droite qu’à gauche. François Ruffin a récemment promis que, en cas de victoire aux législatives, la première décision du Nouveau Front populaire serait de réintégrer Guillaume Meurice à France Inter. « Quand les politiques arrêteront-ils de relancer l’affaire Meurice ? » s’inquiète un journaliste de France Inter.