Home Finance « La dérive des dépenses publiques est très inquiétante »

« La dérive des dépenses publiques est très inquiétante »

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C’est une annonce qui vient mettre encore plus la pression sur le budget que devra concocter le prochain gouvernement d’ici au 1er octobre. Un cadeau de bienvenue empoisonné laissé par Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie démissionnaire : le déficit public pourrait finalement atteindre 5,6 % du produit intérieur brut (PIB) à la fin de l’année – après 5,5 % du PIB en 2023 –, ce qui reste loin des 5,1 % du PIB initialement visés par Bercy. Il monterait même à 6,2 % en 2025, au lieu de 4,1 %.

Placée par la Commission européenne sous le coup d’une procédure pour déficit excessif, la France avait pourtant promis de revenir dans les clous, à savoir un déficit sous les 3 % du PIB, d’ici à 2027. Pour François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes et fondateur de Fipeco, le site de référence sur le suivi des finances publiques, la France se trouve dans « une situation dangereuse ». Entretien.

Le Point : Cette confession d’un nouveau dérapage du déficit public vous a-t-elle surpris ?

François Ecalle : Pas vraiment. Le gouvernement avait annulé des milliards de crédits budgétaires au mois de mars et affirmé que, pour atteindre l’objectif de 5,1 % de déficit, il fallait faire des économies supplémentaires, avec une loi de finances rectificative et, par exemple, des efforts sur la sécurité sociale. Cela n’a pas été fait. Par ailleurs, les recettes fiscales sont un peu moins bonnes que prévu. L’inflation est plus faible que prévu en France [1,9 % en août, NDLR], ce qui est une bonne nouvelle pour les Français, mais pas pour la TVA basée sur les prix. Il y a aussi un dérapage des dépenses du côté des collectivités locales. Dans le programme de stabilité transmis par la France à la Commission européenne qui expose la trajectoire de finances publiques, un déficit de l’ordre d’une dizaine de milliards d’euros des collectivités locales était envisagé. Mais nous sommes à deux ans des élections municipales et l’investissement communal augmente toujours fortement à cette période. Pourquoi ? Car les maires finalisent leurs projets d’investissement afin d’avoir un bilan à défendre aux prochaines élections de 2026.

À quel point cette perspective d’un déficit de 5,6 % du PIB cette année est-elle alarmante ?

C’est une situation dangereuse. La problématique des nouvelles règles budgétaires européennes n’est pas tant de respecter un objectif de déficit que de donner une trajectoire d’évolution des dépenses et de s’y tenir. Si le déficit est plus fort que prévu parce que la croissance en volume et en prix est moins forte, cela n’est pas très grave. En revanche, la dérive des dépenses publiques est plus inquiétante, notamment le fait d’arrêter de faire des économies prévues sur les dépenses de l’État ou de la sécurité sociale. L’incertitude politique n’est pas propice à la réduction des dépenses. Il existe aussi une incertitude sociale. En France, il est très difficile de prendre des mesures impopulaires en faisant des économies ou en augmentant les impôts. Certains proposent de taxer les riches et les grandes entreprises, qui sont pourtant déjà beaucoup taxés. Or nous avons déjà des problèmes de compétitivité et de déficit récurrent depuis vingt-cinq ans de nos échanges extérieurs, donc cela risquerait de les aggraver.

Que doit faire le prochain Premier ministre pour redresser la barre ?

La piste que je défends mais que beaucoup de partis politiques écartent est celle de la sous-indexation des pensions de retraite sur l’inflation. Cette année, on a mis sur la table 15 milliards d’euros pour les indexer sur les prix, soit une hausse d’environ 5 % des pensions. Il ne faudrait peut-être pas recommencer l’année prochaine. Chaque fois qu’on indexe les retraites sur un point de moins que l’inflation, l’État économise automatiquement 3 milliards d’euros sur les seules retraites de base. Si on ajoute les retraites complémentaires, on arrive à 4 milliards d’euros. Hélas, aucun dirigeant politique n’est prêt à se risquer à des mesures d’économies impopulaires. En France, il n’y a pas de consensus sur la politique économique. Les gens se disent prêts à faire des efforts à condition que ce soient les autres qui le fassent…

Quelles seraient les conséquences de modifier la réforme des retraites ?

La réforme des retraites ne permet pas seulement de réduire le déficit des seuls régimes de retraite. Son principal intérêt du recul de l’âge de départ est d’augmenter la population active et donc, finalement, ça augmente l’emploi et les capacités de production, surtout à un moment comme aujourd’hui où l’on a des difficultés de recrutement dans tous les secteurs. Cela fait des recettes en moins pour toutes les administrations publiques, pas seulement les régimes de retraite, mais aussi l’État, les collectivités locales et plusieurs branches de la sécurité sociale. Y renoncer représenterait un très gros manque à gagner pour les finances publiques. Malheureusement, la probabilité que cela se produise est forte. En effet, beaucoup d’économistes français qui veulent annuler la réforme tentent d’expliquer que cela ne coûtera pas très cher, que le déficit des régimes de retraite n’est pas si important, qu’on peut le combler en augmentant les cotisations.

C’est un peu la victoire de Thomas Piketty face à la Cour des comptes…

Thomas Piketty a, hélas, plus de succès médiatique que la Cour des comptes.

Jusqu’où la patience de la Commission européenne ira-t-elle vis-à-vis de la France ?

La France est supposée donner un plan budgétaire à moyen terme d’ici à la fin septembre. Le principal problème est la réaction des marchés financiers. Pour l’instant, ils sont très calmes parce qu’ils pensent, à tort ou à raison, que la Banque centrale européenne sera toujours là pour aider la France, même en cas de défaut. Ils croient au « whatever it takes » de Mario Draghi, le « quoi qu’il en coûte » de l’ex-président de la BCE. En cas de gouvernement avec le Nouveau Front populaire ou le Rassemblement national, le risque serait de prendre de front la Commission européenne en décidant de ne plus respecter les règles européennes. Cela, tant la BCE que les marchés financiers ne l’accepteraient pas.


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