Home Finance La fraude sociale et fiscale, le faux pactole sur lequel fantasme l’extrême droite

La fraude sociale et fiscale, le faux pactole sur lequel fantasme l’extrême droite

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Jeudi 20 juin. À dix jours du premier tour des élections législatives, Jordan Bardella disserte, au côté d’Éric Ciotti, devant un parterre de chefs d’entreprise, réunis à Paris par le Medef. Le président du RN sait qu’il doit rassurer cette assemblée sur sa capacité à présenter un budget à l’équilibre. Deux ans plus tôt, pour l’élection présidentielle de 2022, le programme de Marine Le Pen avait été chiffré à 100 milliards d’euros par l’Institut Montaigne, think tank libéral. Dévoilé au compte-gouttes, le programme actuel promet d’être dépensier, avec les mesures coûteuses que sont la baisse de la TVA sur les énergies et l’exonération de cotisations sur les hausses de salaires.

Pour convaincre le patronat de son sérieux budgétaire, Jordan Bardella convoque, comme attendu, une vieille rengaine du parti d’extrême droite : « Il y a beaucoup de pistes d’économies à faire dans la dépense publique. La fraude en est une. » Il n’y a rien de nouveau pour le RN à insister sur la fraude sociale et fiscale. Déjà, en 2011, la présidente du FN Marine Le Pen dénonçait une « explosion de la fraude sociale liée à une explosion de l’immigration ». En 2022, la candidate à l’élection présidentielle promettait de créer « un ministère dédié à la lutte contre la fraude » sociale et fiscale si elle était élue. À l’époque, le programme du RN chiffrait à 15 milliards d’euros les recettes que l’État pouvait en tirer.

Avec le nouveau programme, on serait « dans l’ordre de grandeur des 15 milliards d’euros », explique le député RN Jean-Philippe Tanguy, sollicité par Le Point, même si le montant exact de recettes attendues doit encore être défini en interne, et sera précisé lors d’une conférence de Jordan Bardella « la semaine prochaine ».

« 15 milliards, c’est complètement fantaisiste ! » réagit François Ecalle, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques. En 2023, l’État a récupéré 10,6 milliards d’euros de rattrapages et de pénalités fiscales – un chiffre qui n’a pas varié en trois ans. La lutte contre la fraude sociale a, elle, rapporté 2 milliards – un milliard pour les prestations frauduleuses et autant pour la fraude aux cotisations. Soit moins de 13 milliards d’euros au total. Si des marges de progression existent, l’objectif de 15 milliards reste hors de portée, estiment les spécialistes.

Une prétendue fraude sociale à 50 milliards d’euros

Seulement voilà, la polémique Charles Prats a secoué les esprits. Ce nom ne vous dit rien ? Juge et ancien douanier, ancien membre de la Délégation nationale à la lutte contre les fraudes, Charles Prats prétendait qu’il existait des millions de bénéficiaires « fantômes » de prestations sociales, vraisemblablement étrangers. Ce « lanceur d’alertes », qui avait déclenché trois enquêtes parlementaires et inspiré les programmes des candidats de droite à la présidentielle, estimait à « 50 milliards d’euros » la seule fraude sociale. En réalité, on serait… « entre 2 et 3 milliards d’euros », estime François Ecalle. Des chiffres que confirme Pascal Saint-Amans, expert en fiscalité pour l’OCDE. L’estimation est à prendre avec des pincettes puisque, par définition, la fraude n’est pas visible jusqu’à ce qu’elle soit découverte.

Le sujet de la fraude sociale a donné lieu à une psychose : celle des 10 millions de cartes Vitale frauduleuses ou surnuméraires. Ce chiffre sortait d’une estimation de l’Inspection générale des affaires sociales, l’Igas, réalisée en 2004. Dix ans plus tard, on s’est rendu compte qu’il s’agissait de doublons de différents régimes (multiples régimes d’assurance maladie, comme la Mutualité sociale agricole…) que les gens gardaient au fond de leurs tiroirs sans les utiliser. Ces cartes ont été totalement désactivées, sans que cela rapporte les milliards attendus à l’Assurance maladie.

Le grand flou du montant total de la fraude fiscale

Et la fraude fiscale ? Là, en revanche, le montant récupéré de 10,6 milliards d’euros ne serait que la partie immergée d’un iceberg dont on ignore complètement la taille réelle. « Le montant de la fraude fiscale ne fait l’objet d’aucune évaluation en France, contrairement aux États-Unis, au Royaume-Uni ou dans les pays nordiques, explique Pascal Saint-Amans. Pour voir l’argent qu’on ne voit pas, il faudrait des contrôles fiscaux sur des échantillons représentatifs, ce qui coûte trop cher par rapport à ce qu’on récupérerait. »

Peu de marges de progression

De toute façon, « avoir ce chiffre n’est pas très utile, estime Pascal Saint-Amans. C’est la méthode pour récupérer l’argent qui compte ». L’arsenal juridique, par exemple, a été étoffé. « On a créé le Parquet national financier, auquel les redressements des services fiscaux sont transmis, et donc on voit beaucoup plus de poursuites pénales », observe Pascal Saint-Amans. Du côté des contrôles, le fisc a accès à davantage d’informations : « Les revenus des personnes qui passent par des plateformes en ligne comme Amazon ou Uber lui sont transmis. »À LIRE AUSSI La grande chasse aux « riches » du Nouveau Front populaire

Certes, davantage de transferts d’informations entre administrations doivent être autorisés. Ainsi, quand l’Assurance maladie sanctionne un professionnel de santé pour fraude sociale, et arrête de procéder aux remboursements, il faut que les organismes complémentaires en soient informés. « Aujourd’hui, ce n’est pas le cas », a pointé, auprès des Échos, le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave. Mais le partage de données entre les différents organismes de l’État a été considérablement amélioré.

Entre la plupart des pays aussi, les échanges d’informations sont devenus systématiques. Prenons la Suisse : si vous y avez un compte bancaire, les autorités helvètes ne manqueront pas d’en informer le fisc français.

La chasse aux piscines non déclarées

L’intelligence artificielle a permis de traiter davantage d’informations que les moyens humains ne le permettaient, comme les photos prises du ciel pour chasser les piscines non déclarées. Selon la Direction générale des finances publiques, près de 20 000 piscines ont été trouvées de cette façon et imposées au titre de la taxe foncière de 2022.

« On dispose d’outils performants, mais peut-on aller plus loin dans les moyens d’enquête sans que cela devienne inquisitorial ? » s’interroge Pascal Saint-Amans. La question s’est posée lors du débat sur le recours à la biométrie, finalement adoptée, afin de s’assurer de l’existence des retraités qui vivent à l’étranger.

On dispose d’outils performants, mais peut-on aller plus loin dans les moyens d’enquête sans que cela devienne inquisitorial ?Pascal Saint-Amans

Certes, pour toucher leur pension de retraite, ces retraités devaient déjà, chaque année, justifier d’un certificat d’existence, réalisé par le consulat français ou les autorités locales. Mais « des arrangements permettent parfois d’obtenir le tampon nécessaire », avait reconnu la direction de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, lors d’une audition au Sénat, en 2023.

À cette occasion, la Cnil s’est opposée à l’utilisation des données biométriques pour la lutte contre la fraude sociale, estimant qu’elles revêtent un caractère trop sensible. La Cnil est ainsi défavorable à l’instauration d’une carte Vitale biométrique qui, parce qu’elle aurait coûté trop cher à mettre en place, n’a finalement jamais vu le jour.

Mieux récupérer les montants faisant l’objet de recouvrements

Un écueil difficilement surmontable dans la lutte contre les fraudes réside dans l’écart entre les redressements notifiés – 15,2 milliards d’euros en 2023, un record – et les 10,6 milliards réellement encaissés. « Les redressements se font sur des sociétés qui, parfois, sont mises exprès en liquidation judiciaire par le fraudeur », explique François Ecalle. C’est souvent ce qui arrive avec la TVA, qui représenterait d’ailleurs la première source de fraude – fiscale et sociale – en termes de montants, suivie de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu.

Pour contrer ces escroqueries reposant sur l’éphémérité de l’entreprise imposée, le gouvernement actuel prévoyait de mettre en place de nouveaux garde-fous, via un projet de loi qui devait être déposé à l’automne. Les sommes seraient négligeables par rapport à la part qui repose sur le travail non déclaré. Là, le manque à gagner serait d’environ 9 milliards d’euros.


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