À Bercy, les nuits du début de l’automne sont toujours courtes. Ce n’est pas cette année qu’elles se sont allongées… Depuis des semaines, c’est l’ébullition. À peine arrivé dans son bureau, le nouveau ministre du Budget macroniste Laurent Saint-Martin a dû se lancer dans un sprint sans échauffement. Il n’a même pas eu le temps de faire quelques changements de décoration pour s’approprier les lieux… Car il fallait réussir l’impossible : présenter un budget pour le début du mois d’octobre, avec un gouvernement nommé le 21 septembre.
Dans quelques heures, la ligne d’arrivée de cette folle course sera dépassée, avec la présentation du projet de loi de finances (PLF) 2025 en Conseil des ministres, ce jeudi 10 octobre. Certes, avec un peu de retard. Mais le délai constitutionnel d’examen des 70 jours par le Parlement pourra être tenu. Reste à savoir maintenant si le budget sera à la hauteur de l’enjeu. Mettre rapidement et vigoureusement de l’ordre dans nos finances publiques, sans pour autant trop plomber l’activité. Un exercice qui demande à la fois de la poigne et du doigté.
Les grandes lignes de ce budget sont déjà connues. Elles ont été révélées par le Premier ministre Michel Barnier, ses lieutenants de Bercy, Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, ou ont fuité. L’effort au total devrait s’élever à 60 milliards d’euros de réduction du déficit. Un clin d’œil au locataire de l’Élysée ? En 2017, c’était la promesse faite par Emmanuel Macron. Réduire la dépense publique de 60 milliards sur le quinquennat, tout en baissant les impôts… En 2025, la composition du cocktail sera différente : sont prévus, officiellement, deux tiers de baisses de dépenses et un tiers de hausses d’impôts sur une seule année.
Méthodes de calcul différentes
À première vue, la marche semble énorme : 60 milliards d’euros, ce sont environ 2 points de PIB. Au point que certains crient déjà à l’austérité. D’autres, au contraire, tempêtent contre un possible enfumage de la part du gouvernement, qui gonflerait son effort d’ajustement budgétaire. Celui-ci ne serait « que » de 40 milliards d’euros. Une différence qui s’explique par la méthode de calcul choisie.
L’effort de réduction du PIB est d’environ 40 milliards d’euros si l’on compare le déficit 2024 (6,1 % selon les dernières estimations de Bercy) à celui visé en 2025 (5 %). Il est de 60 milliards si l’on compare le niveau que pourrait atteindre le déficit en 2025 (7 %), à politique inchangée, et la cible de 5 % du gouvernement. Chaque année, la dépense publique a en effet tendance à gonfler automatiquement : les salaires des fonctionnaires augmentent car leur carrière progresse, le vieillissement dope les dépenses de santé, etc. Parfois, comme l’année prochaine, la charge de la dette augmente elle aussi automatiquement avec la hausse du coût de financement sur les marchés.
Le calcul utilisé par le gouvernement n’est en tout cas pas fantaisiste : il est celui utilisé généralement pour évaluer les efforts budgétaires. « Chaque méthode de calcul a ses avantages et ses inconvénients, explique Olivier Redoules, directeur des études de Rexecode. La première sous-estime la masse d’économies à identifier et donc l’effort budgétaire réel, tandis que la seconde repose sur un certain nombre d’hypothèses qui peuvent être discutables et gonfler le chiffre de l’ajustement budgétaire. » « La croissance tendancielle de certaines dépenses, comme les retraites, est plutôt facile à prévoir, alors que c’est plus compliqué pour les dépenses des collectivités locales ou de santé », précise l’expert des finances publiques et fondateur de Fipeco, François Ecalle.
Polémique
Cette question provoque en tout cas déjà des polémiques. Cet épisode rappelle d’ailleurs celui des 50 milliards d’économie du gouvernement Hollande : l’exécutif avait été également accusé d’avoir gonflé la hausse tendancielle des dépenses pour afficher des dépenses plus importantes. Le ratio de dépenses en moins et d’impôts en plus pourrait être chamboulé en fonction de la méthode choisie, selon les calculs effectués par nos confrères du Monde, grâce au document envoyé par le gouvernement au Haut Conseil des finances publiques.
Le signal envoyé par l’exécutif à nos partenaires européens, qui attendent de pied ferme que le mauvais élève de la zone euro rende enfin une belle copie, mais aussi aux marchés, un peu fébriles, comme l’illustre l’augmentation du « spread » (l’écart entre le taux de l’OAT français et celui du Bund allemand) depuis la dissolution, se veut en tout cas clair : le redressement des comptes publics, c’est maintenant. Le gouvernement a suivi le conseil donné par les économistes du Conseil d’analyse économique (CAE) Adrien Auclert, Thomas Philippon et Xavier Ragot : frapper fort au début, puis diminuer l’effort d’ajustement les années suivantes. Selon ces experts, cela permet en effet d’être plus crédible, mais aussi d’infléchir plus rapidement la dette. Reste à savoir s’ils seront convaincus par le détail des mesures, présenté ce jeudi.
Évidemment, c’est également du pain béni pour les oppositions qui vont pouvoir crier à l’austérité en agitant le chiffre de 60 milliards, un effort inédit sur une seule année, et en rappelant que, lors de la crise des dettes souveraines, les pays qui se sont soumis à une cure express ont vu la récession s’accentuer. Ils n’ont pas tort sur un point : à court terme, une réduction du déficit n’est pas censée doper la croissance.
Mais la fenêtre pour réduire le déficit est plutôt bonne : la croissance reste résiliente, la Banque centrale européenne baisse ses taux directeurs et il ne faudrait pas attendre la prochaine crise et son avalanche de dépenses pour s’y atteler, car l’ajustement serait alors bien plus douloureux… « Tout dépendra également du détail des mesures, elles n’ont pas toutes le même effet récessif », souligne Éric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. Ce que tous les macro-économistes attendent avec impatience, pour faire tourner leurs modèles et mettre à jour leurs prévisions de croissance pour l’année prochaine. Le gouvernement table sur une croissance de 1,1 %, identique à celle de cette année. L’effet récessif ne serait que d’environ 0,1-0,2 point selon les calculs de Bercy. Les autres prévisionnistes trouveront-ils le même chiffre ?