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« Moody’s a les coudées franches pour dégrader la France »

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Voilà encore une rude semaine qui s’annonce pour Michel Barnier. Après la présentation du projet de loi des finances 2025 et celui du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en conseil des ministres, jeudi 10 octobre, puis la créativité fiscale qui a agité la commission des Finances la semaine dernière, cette semaine sera marquée, notamment, par la délivrance du verdict de l’agence de notation Moody’s sur la dette de la France, vendredi 25 octobre au soir. Pour Norbert Gaillard, économiste, consultant indépendant et spécialiste du risque souverain, la France a peu de chances d’échapper à une dégradation de sa note…

Le Point : L’agence de notation Moody’s se prononcera vendredi sur la note de la France. Quel est votre « pronostic » ?

Norbert Gaillard : Le risque de dégradation de la note de la France paraît élevé. Et cela, pour plusieurs raisons… D’abord, la particularité de l’agence Moody’s est qu’elle attribue à la France une note qui est un cran au-dessus de celle des deux autres agences de notation, Fitch et Standard and Poor’s (S&P). En clair, ces deux dernières attribuent à la France une note qui serait l’équivalent d’un 17/20, alors que Moody’s lui accorde un 18/20. On peut penser que Moody’s va être tentée de s’aligner sur les notes de ses rivales Fitch et S&P. C’est un premier élément qui va peser sur la décision de l’agence américaine.

Il reste ensuite à examiner la situation économique actuelle du pays…

Évidemment, les analystes des agences regardent très attentivement ce qui va sortir du Parlement, comment tournent les débats budgétaires, côté dépenses et côté recettes. C’est déjà ce qu’a fait l’agence Fitch, qui a rendu son verdict le 11 octobre. L’agence a décidé de ne pas modifier sa note. Si elle l’avait fait, cela aurait été lourd de conséquences, car cela aurait relégué la France dans la catégorie A, ce qui serait problématique.

Pourquoi ? Parce que certains fonds d’investissement qui ont des politiques fondées sur les notations financières seraient contraints de se délester de leurs titres obligataires qui étaient jusqu’alors jugés quasiment sans risque (AAA et AA) et qui présenteraient désormais un risque, certes faible, mais à surveiller.

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Oui, on peut penser que la tentation du « wait and see » existe, mais il est quand même probable que l’agence dégrade la France. D’autant que les débats actuels à l’Assemblée ne permettent pas de discerner un cap budgétaire clair. Les retraités semblaient devoir être mis à contribution il y a quelques semaines mais ce n’est plus certain aujourd’hui.

Divers amendements ont été avancés (augmentation de la flat tax, alourdissement des droits de succession) mais rapporteront-ils suffisamment ? D’ailleurs, l’accroissement de la pression fiscale est-il la priorité ? Parallèlement, les réticences à tailler dans les dépenses publiques déplairont aux agences. Ces considérations renvoient aussi au risque politique. Celui-ci est depuis toujours examiné dans l’attribution des notations souveraines.

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Oui, mais, malheureusement, c’est désormais devenu un sujet de préoccupation. D’abord, à partir de 2022, avec une majorité relative à l’Assemblée qui a gêné le vote des deux derniers budgets. Depuis la dissolution de juin 2024, la situation a empiré, car l’Assemblée est encore plus fragmentée. Du coup, la nomination d’un Premier ministre a été longue et difficile. Ensuite, les divers groupes parlementaires ont refusé et refusent toujours les compromis, ce qui complique la tâche du gouvernement. Enfin, des ministres, comme Agnès Pannier-Runacher, menacent de démissionner si le budget de leur ministère est insuffisant.
À LIRE AUSSI « C’est à croire que le NFP a participé à l’élaboration de ce budget ! » L’instabilité politique s’accroît. Cependant, le point noir reste évidemment l’état des finances publiques. Méthodologiquement parlant, Moody’s a les coudées franches pour dégrader la France, vendredi. En effet, dans son dernier rapport publié en avril, il est précisé que la France risque une dégradation si ses indicateurs de dette devaient se détériorer significativement. Nous sommes précisément dans ce scénario : on était à 4,5 % de déficit budgétaire anticipé en avril dernier pour l’année 2024, et on est passé aujourd’hui à 6 % ! C’est un dérapage énorme. Si Moody’s maintenait notre note, nous nous en sortirions vraiment très bien…

Les agences assortissent leurs notes de perspectives…

Oui, la question est également de savoir si cette note sera assortie d’une perspective stable ou négative. S’il y a dégradation d’un cran avec perspective négative, ce serait un coup de pression fort de la part de Moody’s, le reflet d’une détérioration de la qualité de crédit significative. Le pire serait une dégradation de deux crans. Je n’y crois pas car la France n’est pas dans la situation de la Grèce en 2010…

Nous avons des marges de manœuvre pour réduire les dépenses et accroître les recettes, encore faut-il que nos députés prennent leurs responsabilités. En fait, notre situation pourrait plutôt ressembler à celle de l’Italie en 2010-2011, qui avait abouti à l’éviction de Silvio Berlusconi de la présidence du conseil.

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En général, les analystes des agences font une visite à Bercy, environ deux mois avant l’échéance. Ils rédigent ensuite leur rapport qui est étudié en comité de notation. La note est tranchée à l’issue d’un vote en comité qui se tient deux à trois jours avant l’échéance. Pour nous, l’échéance est fixée au vendredi 25 octobre (après la fermeture des marchés boursiers européens et américains). La réunion du comité de notation se tiendra sans doute ce mercredi 23 octobre. La note sera ensuite communiquée aux services de Bercy avant d’être rendue publique. Cela laisse au pays la possibilité éventuelle de faire appel. Si un appel est interjeté, il y a en principe une autre réunion pour confirmer ou pas la décision. Si la France est dégradée d’un cran, je ne pense pas qu’elle fasse appel. Si c’est de deux crans, c’est une autre histoire.

Quelles sont les notations des autres pays européens ?

La France est notée Aa2 par Moody’s. C’est un cran en dessous de l’Autriche et un cran au-dessus de la République tchèque qui ont toutes les deux des finances publiques bien plus saines que nous. Rappelons au passage que plusieurs États de l’Union européenne sont encore notés Aaa, comme l’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark. En bref, ces comparaisons ne sont pas flatteuses et vont dans le sens d’une dégradation. La concurrence est rude…

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Le Kangourou du jour

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Quelles pourraient être les conséquences d’une dégradation de la note de la France par Moody’s ?

Une dégradation d’un cran n’aura pas beaucoup d’effet car cela est déjà intégré dans les cours. Si la France était dégradée de deux crans, il y aurait un vrai risque de hausse des taux obligataires sur les marchés. Il faudrait craindre des flux vendeurs de la part des investisseurs qui sont sur des logiques sans risque ou quasi sans risque, par exemple de la part de compagnies d’assurances et de fonds de pension. Ce mouvement pourrait être partiellement contrebalancé par d’autres fonds qui achèteraient des obligations d’État françaises, considérant qu’elles restent peu risquées avec un assez bon rendement malgré tout.


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