Pourquoi la France est-elle aujourd’hui, en 2024, en danger ? En particulier parce que l’endettement de son État est devenu abyssal, et ne cesse de se creuser. Difficile de ne pas voir que cette situation sera, un jour, la source d’une crise importante, financière a minima.
Pourquoi l’État s’endette-t-il autant ? Tout simplement parce que ses dépenses sont bien supérieures à ses recettes. Une première raison expliquant l’insuffisance des recettes est à chercher du côté des divers impôts, avant tout dirigés vers une économie qui s’appauvrit, tout du moins depuis le début des années 2000.
Une nation comme la France est une entité économique qui a aussi vocation à réaliser des profits. Ces derniers étant un marqueur de la prospérité du pays et de sa population. L’un des indicateurs à considérer pour attester de la réussite économique d’un pays est sa balance commerciale, soit le rapport entre ses importations et ses exportations.
Or, depuis l’année 2004, la balance commerciale française est tous les ans déficitaire. En d’autres termes, nous avons, chaque année, acheté aux autres pays plus que ce que nous leur avons vendu, sans discontinuer. Aggravant, année après année, ce déficit commercial devenu abyssal. Une entité économique comme une entreprise, qui connaît un déficit, creuse ses pertes. La France connaît, en conséquence, des pertes financières depuis 2004. Quelles sont les raisons de ce déficit commercial ?
Privilégier le marketing, la finance ou la stratégie
Au cours des Trente Glorieuses – les trente années ayant suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale –, la France fut très prospère et très profitable s’agissant de commerce extérieur. Comment les entreprises industrielles et de services étaient-elles alors organisées ? Il y avait, d’un côté, les ingénieurs, cadres d’élite formés par nos grandes écoles scientifiques, et, de l’autre, les commerciaux, âprement sélectionnés par les grandes écoles de commerce.
Ces derniers commercialisaient avec grand succès les produits conçus par les ingénieurs de l’entreprise. Malheureusement, ces sélections, formations et organisations, qui faisaient de nos entreprises des champions de l’export, furent remises en question au cours de la seconde moitié du XXᵉ siècle.
À LIRE AUSSI Pourquoi l’économie française s’enlise dans la stagnationC’est à cette période que les grandes écoles de commerce décidèrent de concurrencer les « business schools » américaines. Ces universités destinées, outre-Atlantique, à former, aussi après sélection, les futurs dirigeants d’entreprises, et focalisées non pas sur un métier (ingénieur, commercial, etc.), mais plutôt sur le management des hommes et la stratégie d’entreprise.
Ces « business schools » recrutent toujours leurs étudiants pour des formations de type MBA (Master of Business Administration), non pas deux ans après le baccalauréat, mais après, en moyenne, cinq années d’expérience professionnelle dans des fonctions très opérationnelles.
Désormais, les écoles de commerce françaises, devenues depuis une cinquantaine d’années des écoles de management ou « business schools », demandent à leurs étudiants d’éviter les fonctions purement commerciales, afin de privilégier les fonctions de marketing, de finance ou de stratégie.
Pilier de la réussite d’une entreprise
Voilà comment nous avons perdu nos commerciaux d’exception. Les diplômés des plus prestigieuses écoles de commerce françaises ne veulent tout simplement plus faire de commerce ! La France ne dispose plus de ces commerciaux d’élite ayant largement participé à la réussite commerciale, donc économique, du pays pendant les Trente Glorieuses.
Le seul secteur qui parvient encore à attirer des diplômés d’écoles de commerce vers des fonctions commerciales est celui de la finance. Pour la simple et bonne raison que des postes très bien rémunérés sont proposés à ces jeunes actifs.
À LIRE AUSSI Yann Coatanlem : « L’appauvrissement de l’Europe me préoccupe » Revaloriser la fonction commerciale, dénigrée – et hormis le cas précédent, généralement très mal rémunérée –, est donc une nécessité. Il s’agit d’une exception particulièrement française que l’on ne retrouve pas dans le reste de l’Europe ou dans les pays anglo-saxons.
Étant donné les performances à l’export de nos entreprises, il devient urgent de revaloriser ce métier extraordinaire, qui permet d’être au contact d’autres cultures au quotidien, en particulier dans la branche de l’export. Ce qui offre la possibilité de s’enrichir humainement. La fonction commerciale est non seulement passionnante, mais elle est aussi un pilier de la réussite d’une entreprise.
« Mercenaires » venus de l’étranger
Jusqu’à la fin des années 2010, les principaux succès de l’entreprise française la plus performante en matière d’exportation, Airbus, pouvaient être attribués au directeur commercial du groupe, un Américain ! Un comble… La sélection effectuée à l’entrée des grandes écoles de commerce est pourtant idéale : d’un côté, les mathématiques, qui laissent présager d’une certaine capacité de raisonnement du candidat, et, de l’autre, la culture générale – littérature, philosophie, histoire, géographie – et les langues.
À LIRE AUSSI Commerce extérieur français : CMA-CGM à la rescoussePour bien « vendre » à l’export, il est nécessaire de bien connaître ses interlocuteurs, leur histoire régionale ou nationale, voire leur littérature, tout en les impressionnant par sa propre culture. Cela sert, par la même occasion, les intérêts de l’entreprise représentée. Revaloriser le jugement porté sur la fonction commerciale et la rémunération qui lui est associée inciterait davantage de brillants diplômés d’écoles de commerce à exercer ce métier. Permettant, in fine, de redorer le blason de l’économie française, en relançant la machine de l’exportation.
En revanche, il serait illusoire de penser que ce changement, même s’il était opéré dès maintenant, ne prendrait pas de nombreuses années avant de porter ses fruits. Dans l’urgence caractérisée par cette situation de fort endettement du pays, nous avons aujourd’hui besoin de « mercenaires » venus de l’étranger.
Des individus capables, à l’image de l’ancien directeur commercial d’Airbus, de renverser les tendances profondes et fâcheuses de notre commerce extérieur. La France est en danger, car, entre autres raisons, les élites françaises méprisent la fonction commerciale. Il devient urgent et important que cela change.
*Jean-Marc de Fety est ingénieur des Mines, Senior Advisor.