À quelques jours du premier tour des élections législatives, les deux formations politiques mettent l’accent sur ce qui ressort souvent comme étant la première source d’inquiétude des Français, le pouvoir d’achat. Pour ce faire, Rassemblement national (RN) et Nouveau Front populaire (NFP) promettent d’appliquer des réformes ambitieuses s’ils venaient à arriver à Matignon au soir du 7 juillet. Le NFP propose purement et simplement de faire passer le smic à 1 600 euros net, contre les 1 398,79 euros actuels, soit une augmentation d’environ 14 %. Une mesure déjà portée par La France insoumise lors des législatives de 2022 puis présentée en projet de loi mais rejetée par l’Assemblée nationale.
Quelles seraient les conséquences si une telle mesure était mise en œuvre ? Bertrand Martinot, économiste et spécialiste du chômage et des politiques de l’emploi, pointe un effet mécanique : « Aujourd’hui, 17 % des actifs sont payés au smic. Si le salaire minimum passe d’un coup à 1 600 euros, le pourcentage des actifs payés en référence au smic passe autour de 30 %. » La France devient alors une économie où près d’un travailleur sur trois a une rémunération fixée par l’État, ce qui n’existe dans aucune économie de marché.
Une hausse du smic et des effets secondaires
Bertrand Martinot pointe un second effet, plus pernicieux, qui concerne la hausse du coût du travail : « Il est possible qu’une augmentation du smic de 14 % entraîne des destructions d’emplois ou du moins rende les patrons réticents à embaucher. Selon les premières estimations de la Banque de France et de la Cour des comptes, ce serait environ 350 000 emplois qui sont menacés, ou qui ne verront pas le jour. » En effet, à ce niveau de rémunération, il est plus facile pour les entreprises de supprimer des services à basse valeur ajoutée que d’augmenter les salaires et donc les charges patronales.
À LIRE AUSSI La fraude sociale et fiscale, le faux pactole sur lequel fantasme l’extrême droiteUne analyse que Stéphane Carcillo, professeur d’économie à Science Po Paris, partage : « Dans la situation économique actuelle, il y a beaucoup de défaillances au niveau des TPE/PME, or ce sont elles qui emploient le plus de smicards. » Ce dernier craint que les salariés d’entreprises qui n’ont pas assez de marge ne coûtent plus cher que ce qu’ils ne rapportent en raison de l’augmentation du smic. Cependant, cette mesure aurait un avantage certain au niveau macroéconomique. Pour lui, les 200 euros mensuel accordés aux smicards seront consommés et non épargnés, ce qui créera un effet de relance.
À LIRE AUSSI « Si le RN ou le NFP gagne les législatives, les investisseurs étrangers iront ailleurs ! » Mais plusieurs questions demeurent, notamment celle de la prime d’activité actuellement versée aux travailleurs qui gagnent entre un smic et 1 smic et demi. Bertrand Martinot craint que, avec l’augmentation du salaire minimum, beaucoup d’employés n’aient plus droit à cette prime d’activité, ce qui annulerait le pouvoir d’achat ainsi créé. D’autre part, si l’alliance de gauche aligne la prime d’activité sur le nouveau smic à 1 600 euros, cela va revenir très cher aux finances publiques.
Même objectif, autre mesure
Du côté du RN, on a repris le programme 2022 et la volonté de récompenser les employeurs qui augmentent de 10 % les salaires inférieurs à trois smic en les exonérant de charges patronales. L’idée en soi n’est pas mauvaise quand on sait que, pour augmenter un salarié de 100 euros, l’employeur doit en débourser 400. « Il faut cependant dire qu’au niveau des bas salaires il n’y a déjà pas ou très peu de charges patronales », précise Bertrand Martinot.
À LIRE AUSSI Blocage des prix et baisse de la TVA : des mesures aux effets perversCe dernier s’interroge : « C’est une réforme qui va coûter très cher aux contribuables avec pas mal de zones d’ombre : est-ce qu’on intègre l’inflation à la hausse de 10 % ? On parle d’augmentations individuelles ou collectives ? » Stéphane Carcillo est lui aussi sceptique quant au nombre d’entreprises prêtes à se saisir de ce dispositif. D’une part, car les augmentations salariales interviennent en général dans un contexte d’inflation pour amortir la hausse des prix. Or cette année : « les négociations salariales pointent vers une augmentation de 4 à 5 %, ce qui est déjà bien. Il n’est donc pas certain que toutes les PME/TPE augmentent les salariés de 10 % même avec l’exonération des charges ».
À LIRE AUSSI Smic, retraite à 60 ans… Le NFP explique comment il espère financer son programmeD’autre part, il faut que l’employeur soit sûr que l’exonération soit pérenne, car si elle n’est valable qu’un ou deux ans, l’augmentation du salaire, elle, est permanente, c’est donc moins intéressant. Enfin, Stéphane Carcillo pointe le fait qu’en France « 80 % des employés gagnent moins de trois smic ». « C’est donc une mesure mal ciblée, ce qui risque de ne pas aider ceux qui en ont le plus besoin. »