Sihem Bensedrine, l’ancienne présidente de l’Instance vérité et dignité (IVD) instaurée en Tunisie, à la suite de la révolution de 2011, pour faire la lumière sur les violations des droits humains pendant les années de dictature, a été arrêtée et écrouée, ont annoncé, jeudi 1er août, des médias tunisiens.
Mme Bensedrine, qui avait déjà l’interdiction de quitter le territoire, est poursuivie à la suite d’une plainte d’un membre de l’IVD l’accusant d’avoir falsifié un rapport final de cette instance. Un juge d’instruction l’a entendue jeudi pour des soupçons de fraude et a décidé de la placer sous mandat de dépôt, selon la radio Mosaïque FM.
Créée en 2014, dans le sillage de la révolte ayant mis fin à la dictature en 2011, l’IVD a été chargée de répertorier les violations commises par des représentants de l’Etat entre 1955 et 2013, une période qui couvre les présidences de l’autocrate Habib Bourguiba (1957-1987) et de son successeur, Zine El-Abidine Ben Ali (1987-2011), mais aussi les troubles post-révolutionnaires.
A la fin de son mandat, en 2018, l’IVD a rédigé un volumineux rapport, qui a été publié dans le Journal officiel en 2020. Au moment de l’interdiction de sortie du territoire prononcée en mars 2023 à son encontre, Mme Bensedrine avait fait savoir à l’Agence France-Presse (AFP) qu’elle faisait l’objet depuis février 2021 d’une enquête judiciaire pour des soupçons de falsification de ce rapport. Elle-même victime d’exactions sous l’ancien régime, Mme Bensedrine était soupçonnée d’avoir perçu un pot-de-vin pour ajouter au rapport un paragraphe accusant la Banque franco-tunisienne (BFT) de corruption. Elle a rejeté ces soupçons.
Dans son rapport final, l’IVD, qui a auditionné près de 50 000 victimes présumées et transmis 173 dossiers à la justice, avait appelé à « démanteler un système de corruption, de répression et de dictature » persistant au sein des institutions de l’Etat.
L’interdiction de sortie émise contre Mme Bensedrine avait été prononcée peu après l’arrestation d’une vingtaine d’opposants, anciens ministres et hommes d’affaires, à partir de février 2023. Qualifiés de « terroristes » par le président Kaïs Saïed, ils sont encore détenus pour « complot contre la sûreté de l’Etat ». Depuis le coup de force, en juillet 2021, de M. Saïed, qui est candidat à sa réélection pour la présidentielle du 6 octobre, des ONG tunisiennes et internationales dénoncent une « dérive autoritaire » en Tunisie.