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Au Cap, des sécessionnistes se rêvent un avenir loin de l’Afrique du Sud

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« C’est maintenant ou jamais », dit la pancarte en afrikaans, brandie par une militante du Referendum Party. Ses membres se sont positionnés au bord de la voie rapide qui traverse le quartier résidentiel de Plumstead dans le sud du Cap. Les bénévoles reçoivent quelques coups de Klaxon en signe de soutien, mais aucune voiture ne marque l’arrêt. « Ça dépend des zones, mais c’est certain que je reçois beaucoup plus de soutien sur les réseaux sociaux », rebondit Robert King, jeune tête de liste du Referendum Party.

Du haut de ses 20 ans, ce jeune homme originaire de la cité viticole de Riebeek-Kasteel, au nord du Cap, veut claquemurer sa belle province derrière des frontières qui en protégerait sa souveraineté, « seule solution pour assurer la survie et la prospérité du Cap-Occidental » selon lui. Robert King sent le pays partir à vau-l’eau et il refuse de couler avec lui. « L’Afrique du Sud fonce droit vers un statut d’Etat en déliquescence. Il y a la crise de l’électricité, la crise du crime, l’un des taux de chômage les plus élevés du monde… Ça va finir par provoquer de vrais problèmes, surtout si vous avez une classe politique populiste et opportuniste qui exacerbe les tensions pour créer de la violence et du chaos », anticipe-t-il entre réalité et dystopie.

Gare à celui qui voudrait coincer Robert King en testant les limites de ce projet fou. Les défenseurs de l’indépendance du Cap – trois partis politiques et une organisation – ont réponse à tout. La Constitution sud-africaine et les lois internationales seraient en leur faveur. La petite taille du pays ne serait pas un désavantage, au regard du niveau de vie des Suisses, du Luxembourg ou de Monaco. Et non, les indépendantistes ne veulent pas recréer un second Orania, du nom de cette commune réservée aux blancs afrikaners dans le centre du pays.

Faible poids politique

« Nous voulons l’indépendance du Cap-Occidental pour tous ceux qui vivent dedans, ça n’a rien à voir avec la race », se défend Des Palm, fondateur de l’ONG CapeXit, qui revendique 840 000 membres. Dit ainsi, la population noire représenterait 39 % des habitants du nouveau pays alors que 82 % des Sud-Africains sont noirs à l’échelle nationale. L’enclave du Cap serait « non raciale », ce qui en Afrique du Sud signifie surtout l’abandon des programmes de discrimination positive qui profitent à la populaire noire.

Les motivations de ces indépendantistes ont en effet de quoi inquiéter leurs détracteurs. « C’est évident que cette idée d’indépendance vise à se séparer de la majorité des Noirs, pour qu’ils puissent créer une patrie où ils pourraient vivre heureux sans avoir à dépenser de l’argent pour la majorité des habitants de ce pays », raille Wessel Visser, professeur d’histoire à l’université de Stellenbosch.

Mais le faible poids politique de ces partis fait relativiser le professeur. « A chaque élection, cette idée resurgit, mais je pense que s’ils obtiennent 1 % des voix, ce sera déjà beaucoup », dédramatise-t-il. Le parti afrikaner du Freedom Front Plus, favorable à l’autodétermination, était crédité le 22 mai de 1 % des voix pour le scrutin provincial, selon l’enquête d’opinion de la Social Research Foundation.

Leur régionalisme détonne dans un pays où le patriotisme est fort et le drapeau, chéri. Certains se disent pourtant d’abord « cappie » plutôt que sud-africain. « Nous devrions faire sécession et nous serons très bien capables de diriger Le Cap », soutient Sean Payne, surfeur de 52 ans qui filme ses amis glisser sur les vagues de l’océan Atlantique depuis la promenade de Sea Point, sous un soleil enjoliveur. Il doute seulement de l’acceptabilité de la démarche et craint une immigration massive vers Le Cap, qu’il juge déjà envahi par des gens de l’extérieur.

« Municipalités en faillite »

Car la région est victime de son succès. Le phénomène prend le nom de semigration et fait les beaux jours des agents immobiliers. « Plus de la moitié de mes clients qui veulent acheter une propriété viennent de la province de Gauteng (Johannesburg, Pretoria) ou du Kwazulu-Natal (Durban) et, du côté de la location, 75 % de mes clients ont “semigré” », indique Andre Langeveldt, à la tête d’une agence du Cap. La population de la province a augmenté de 27,7 % entre 2011 et 2022, la plus forte hausse enregistrée dans tout le pays. Le phénomène aurait commencé il y a une quinzaine d’années sous l’ancien président Jacob Zuma, symbole de la dérive du pouvoir sud-africain. « Partout le pays s’effondre à cause de la corruption, du vol et de l’état des infrastructures à cause des municipalités qui sont presque toutes en faillite », constate M. Langeveldt.

Les Sud-Africains trouvent donc refuge au Cap, métropole la mieux gérée du pays en 2024, selon l’organisation à but non lucratif Good Governance Africa. Le chômage y est le plus faible du pays, les coupures d’électricité durent 15 % moins longtemps, la grande criminalité se concentre dans les quartiers périphériques. « Le Cap-Occidental, ça marche », dit le slogan de l’Alliance démocratique (DA), au pouvoir à la mairie et à la province. Le premier parti d’opposition fait de cette région la vitrine de ses campagnes pour convaincre les électeurs que l’ensemble du pays pourrait suivre la même trajectoire.

Mais l’idée d’une sécession ne sied pas aux ambitions nationales du DA. « C’est de la fiction, une étrange façon de perdre son temps. Nous, on vit dans la réalité, on fait partie de l’Afrique du Sud et on l’aime », griffe Geordin Hill-Lewis, le maire du Cap. « Je ne pense pas que ça puisse fonctionner avec notre Constitution, rejette plus poliment Alan Winde, le président de la province. Il faut que la population y adhère, que l’Assemblée accepte un changement de la Constitution. Ça n’arrivera pas. »

L’Alliance démocratique n’est toutefois peut-être pas étrangère à la montée d’un sentiment indépendantiste. Le parti plaide pour davantage de fédéralisme face à un état central jugé coupable de mauvaise gouvernance. Le président Alan Winde essaiera de faire voter sa loi sur les pouvoirs provinciaux s’il est réélu après les élections du 29 mai.

Sans grillage ni douanier

Ce texte vise à obtenir le plus de pouvoir possible dans le cadre de la Constitution, là où l’Etat fait preuve de manquements. La province veut reprendre la main sur la police, sur les transports de passagers et de marchandises et sur les ports. « Et ensuite on peut aller à l’étape suivante comme la pêche », ambitionne Alan Winde. « Dévolution des pouvoirs, c’est le terme à la mode, mais c’est très dangereux », rejette Des Palm de l’association CapeXit. Reprendre la main sur la police ne servirait à rien sans le contrôle du système judiciaire et pénitentiaire selon lui.

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Ces digressions sur la possibilité d’un avenir meilleur en cas d’autonomie font sourire ceux qui voient déjà la région comme une enclave pour gens fortunés. « Je suis opposée à la sécession, ça ferait quelle différence ? L’Alliance démocratique est au pouvoir, mais on ne voit aucun progrès, surtout dans les townships », signale Maria (elle n’a pas souhaité donner son nom de famille), en balade avec une amie sur la promenade du quartier chic de Sea Point. Elle a quitté Khayelitsha, le plus grand township du Cap, pour prendre l’air à 40 km de chez elle.

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Maria a un emploi mais elle ne peut pas se payer un logement dans les quartiers qui la rapprocherait du centre-ville. Se déplacer coûte cher et demande de la patience. « Ils nous rendent la vie difficile, nous les Sud-Africaines ordinaires », maugrée-t-elle. Elle témoigne d’une vie sans paillettes dans les quartiers pauvres où la ville du Cap ne ressemble en rien à ce qui est vendu aux touristes. « Il y a peu de services publics, plus de crimes qu’auparavant, les gens ont peur. Ils veulent gérer la province différemment ? Pourquoi ne le font-ils pas déjà ? », implore Maria.

Le régime d’apartheid (1948-1994) a dessiné une société sud-africaine cloisonnée, dont les communautés et les classes sociales vivent toujours séparées, du fait notamment d’une planification urbaine qui n’a pas été repensée. Cette réalité est encore plus forte au Cap où subsistent des frontières sans grillage ni douanier, qu’une éventuelle indépendance n’effacera pas.

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