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Au Kenya, la génération Z quitte la rue mais reste mobilisée en ligne

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Il y a eu comme un flottement jeudi 27 juin, au Kenya, où un mouvement social inédit a grandi ces dernières semaines contre la nouvelle loi de finances. Mardi, les manifestations pacifiques portées par les jeunes gens ultraconnectés de la génération Z avaient rassemblé des milliers de personnes à travers le pays, avant de dégénérer en une spectaculaire intrusion dans le Parlement et des violences policières qui avaient fait, selon les ONG, plus de 20 morts et 300 blessés.

Jeudi, pour la journée de mobilisation suivante, le mot d’ordre était initialement d’« occuper la State House », la résidence officielle du président. Mais William Ruto avait créé la surprise, la veille, en s’« inclinant », selon son mot, face « aux fils et aux filles » de la nation : il a retiré le texte qui créait de nouvelles taxes, dans un pays exaspéré par ses mesures répétées d’austérité. Jeudi après-midi, aucun manifestant n’était visible aux abords de la State House, dont l’accès était bloqué par des barrages policiers sur un rayon d’au moins un kilomètre.

Dans ce quartier central de Nairobi mélangeant résidences et bureaux, les vendeurs de rue et les boda-boda – les motos-taxis – étaient au travail, presque autant qu’un jour normal. Quelques centaines de manifestants, par petits groupes, se sont bien rendues dans le centre-ville. Mais la forte présence de la police et de l’armée, promptes comme à leur habitude à faire usage de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, contenait toute approche du Parlement.

Au-delà de leur faible nombre, les manifestants eux-mêmes ont semblé changer. Depuis le début des rassemblements mi-juin, les classes moyennes, voire supérieures, formaient l’essentiel des cortèges, dansant, chantant et brandissant des smartphones pour saisir et partager cette excitation inédite.

Avoir été « écoutés » par un régime « arrogant »

Jeudi, beaucoup ont déploré ce qui ressemblait plus à une réappropriation des manifestations par les partis politiques, réputés payer des habitants des quartiers populaires pour aller battre le pavé. De nombreuses vidéos ont aussi montré des casseurs et des pilleurs, repoussés par des commerçants. Çà et là, par petits groupes, des étudiants ou jeunes travailleurs étaient cependant présents.

Kanana Koome, une étudiante en droit de 20 ans, s’est déplacée avec une amie, se tenant discrètement au coin d’une rue, en silence. « Je suis ici pour marcher pour les très nombreuses personnes qui ont perdu la vie à Nairobi et à travers le Kenya, pour réclamer justice pour eux », précise-t-elle, masque sur le visage pour se protéger des gaz et sweat noir à capuche sur les épaules en cette journée fraîche.

Certaines des figures du mouvement, comme la journaliste et militante Hanifa Adan, avaient appelé à une marche blanche en mémoire des victimes. Dans la rue jeudi, Amina Mohamed veut elle aussi porter la bataille « au-delà de la loi budgétaire ». « Nous devons combattre tout ce gouvernement et toute sa représentation », souligne cette docteure de 31 ans partisane du plus radical « Ruto must go » (« Ruto doit partir »).

Mais l’essentiel de la « gen Z » était ailleurs. Beaucoup avaient décidé de ne pas manifester, satisfaits, comme Khalif Kairo, un jeune vendeur de voitures devenu une voix du mouvement, d’avoir enfin été « écoutés » par un régime « arrogant ». « J’ai le sentiment que nous avons remporté une très, très grande victoire », a affirmé le jeune homme sur TikTok, répétant n’être « le leader de personne mais parler pour lui, avec son cœur. » Une vidéo sans fard, tournée sur un canapé, en short et tee-shirt, mais au ton réfléchi.

De nouveau sur les réseaux sociaux

« C’est un énorme accomplissement et j’ai le sentiment que si nous retournons dans la rue nous risquons de saper ce que nous sommes parvenus à gagner », poursuit-il, rappelant combien l’instabilité peut affecter les pays et leurs économies, « comme au Soudan ».

Plus que de s’évanouir, ce mouvement décentralisé s’est déplacé. Il avait commencé sur les réseaux sociaux, où la forte agitation avait poussé la jeunesse dans la rue. Elle semble y être retournée. Des milliers de personnes ont participé à des « espaces » sur le réseau social X, des forums ouverts à tous où l’organisateur distribue la parole, à la façon d’une AG étudiante version digitale. L’un d’eux, mercredi soir, a rassemblé plus de 500 000 personnes, au Kenya et à l’étranger, selon l’application Spaces Dashboard.

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Dans ces forums, ponctués de moments de flottement dus aux caprices de la connexion Internet, les participants reviennent sur la fierté de la victoire, évoquent « les meurtres » de la police – beaucoup de victimes sont mortes par balles, selon les ONG. Mais, dans un mélange d’anglais, de swahili et de sheng, l’argot de Nairobi, ils discutent aussi de la corruption, de la possible non-constitutionnalité du retrait de la loi ou encore de l’influence du Fonds monétaire international (FMI) sur la politique du président William Ruto.

Certains participants s’amusent aussi de l’empressement des parlementaires kényans, surnommés de longue date les « MPigs » (contraction de MP, membres du Parlement et de « cochons ») et largement critiqués dans les manifestations, à tenter de retrouver grâce aux yeux des jeunes. « Ils sont les serviteurs et nous sommes les employeurs », assène un dénommé Bonnie.

L’absence de redevabilité de la classe politique kényane est l’un des principaux griefs de la « gen Z », dont l’engagement et surtout le niveau d’information ont suscité l’admiration de tout le pays. Elle entend maintenant garder un œil attentif. D’ailleurs, William Ruto n’a pas fait que retirer la loi budgétaire : le riche homme d’affaires a promis d’engager un dialogue national avec la jeunesse, mais aussi de s’attaquer aux dépenses jugées somptuaires du gouvernement, notamment depuis son arrivée au pouvoir, dans un pays marqué depuis des décennies par la corruption et l’accaparement des ressources par les élites.

« Donnons-leur du temps et voyons ce qu’il se passe, dit encore Khalif Kairo dans sa vidéo. Si dans un ou deux mois on voit que rien n’a changé, nous pourrons toujours revenir. »

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