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Au Kenya, le procès du « massacre de la forêt de Shakahola » doit dénouer les secrets des meurtres de plus de 400 personnes

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Quinze mois se sont écoulés depuis la sinistre découverte de la forêt de Shakahola. Ce sous-bois situé près de la côte est du Kenya, devenu tristement célèbre depuis que plus de 400 cadavres y ont été déterrés. Sanctuaire de la secte du pasteur Paul Mackenzie, il a renfermé son lot de secrets macabres pendant près d’un an et demi. La justice s’efforce désormais de les exposer. Lors de la semaine inaugurale du procès, qui s’est ouvert le 8 juillet, des membres de la secte ont décrit les dessous de l’organisation de Paul Mackenzie. Des policiers sont attendus à la barre cette semaine.

Le gourou le plus connu et le plus meurtrier du pays est jugé pour « terrorisme » devant le tribunal de Shanzu, près de la ville portuaire de Mombasa. Ce premier procès, qui s’annonce fleuve et hors normes, n’est qu’un préambule. Plusieurs autres procédures suivront. Paul Mackenzie est poursuivi pour meurtre, homicide involontaire, enlèvement, torture d’enfants et cruauté.

L’ancien chauffeur de taxi de 52 ans est accompagné de 94 coaccusés, ses complices au sein de « l’Eglise internationale de la bonne nouvelle », une structure évangéliste de la côte kényane qui s’est muée en secte et que le parquet considère comme « une organisation criminelle prenant l’apparence d’une église ». Prédisant la fin du monde à ses adeptes, le gourou leur intima de se laisser mourir de faim dans le but de « rencontrer Jésus ». Pratiqué de gré ou de force, ce jeûne mortel fit au moins 446 victimes.

Embarras de l’Etat

Si le jeûne commence en janvier 2023, les premières tombes ne furent découvertes que quatre mois plus tard dans cette forêt isolée de 325 hectares, laissant les Kényans abasourdis devant l’ampleur du massacre. « Shakahola est la pire faille de sécurité dans l’histoire de notre pays », avait alors admis le ministre de l’intérieur, Kithure Kindiki. Les autopsies ont par la suite montré que si, des individus étaient bien morts de faim, certains corps présentaient des traces de coups et d’étranglements. Selon des documents judiciaires, des organes ont aussi été prélevés.

Les autorités kényanes seront au centre de l’attention cette semaine. Les juges du tribunal de Shanzu écouteront les témoignages de plusieurs officiers de police, présents sur les lieux lors des premières découvertes. Des témoignages qui doivent partiellement lever le voile sur les manquements des forces de l’ordre, accusées d’avoir laissé prospérer la secte dans ce sous-bois.

Pendant plus de trois ans, Paul Mackenzie a en effet pu bâtir une colonie, composée d’environ un millier de membres répartis dans six villages rustiques, nommés d’après des lieux bibliques – Nazareth, Sidon, Judée, Bethléem… – sans que jamais les autorités ne s’en préoccupent. Preuve de l’embarras de l’Etat, la seule mesure prise jusqu’à présent a consisté à muter les policiers de ce district.

En tout, 90 témoins se présenteront à la barre dans les semaines et mois à venir. Parmi eux, une vingtaine de victimes. Celles qui se sont laissées séduire par les prêches de Paul Mackenzie, volontiers conspirationnistes, dans lesquels il pourfendait l’Etat, leur demandaient de brûler leurs papiers d’identité, de vendre leurs biens, de désinscrire leurs enfants du système scolaire et de boycotter les hôpitaux publics. Ces positions extrêmes avaient justifié la fermeture de son Eglise par le gouvernement, en 2019. Le gourou s’était par la suite installé dans la forêt de Shakahola, suivi de sa communauté.

Présence d’une milice dans la forêt

Les premiers témoignages, début juillet, lors de la semaine inaugurale d’audience, font état de méthodes brutales utilisées par son organisation pour contraindre les récalcitrants à ce « jeûne total ». Ceux-ci étaient brutalisés et enfermés nus dans des cellules construites avec des troncs d’arbres et de branches, gardés par des hommes de main de Paul Mackenzie, relate un homme qui se rendait dans la forêt en avril 2023 pour y repérer des parcelles de terre à acquérir et qui est finalement tombé nez à nez avec des femmes captives, l’appelant au secours. C’est lui qui préviendra la police dès le lendemain.

A la barre, un garçon de 8 ans, introduit au sein de la secte par ses parents, confirme devant les juges ces pratiques dignes du milieu carcéral. Si son grand-père l’a miraculeusement sauvé de l’enfer de Shakahola, il y a perdu deux frères. Son père est toujours porté disparu.

Les différents récits mentionnent la présence d’une milice dans la forêt : une soixantaine d’hommes se déplaçant à moto, faisant régner l’ordre et éloignant les curieux à l’aide de gourdins, de machettes, d’arcs et de flèches. Est-ce cette armée privée aux ordres du gourou qui est l’origine des traces « d’asphyxie », « d’étranglement » et « de coups violents à la tête » retrouvées sur le corps des victimes, comme l’indique le rapport d’autopsie ?

Les prochaines semaines feront la lumière sur la nature des activités de « l’Eglise internationale de la bonne nouvelle ». Son créateur, Paul Mackenzie, semble fidèle à lui-même, d’apparence indifférent lors des dépositions. Depuis son box, il reste silencieux, la tête penchée vers le sol et vers la Bible qu’il tient entre les mains.

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