Le projet de réforme de la Moudawana, le code de la famille au Maroc, est entré dans sa phase finale. Après six mois d’auditions, la commission chargée de sa révision a transmis, le 30 mars, une première mouture du texte au chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, qui l’a remise au roi Mohammed VI.
A charge désormais au souverain, qui est aussi le commandeur des croyants, d’arbitrer cette proposition, en s’assurant de l’équilibre « entre la volonté de modernité et les contraintes religieuses », prévient un député de la majorité. Le projet de loi sera ensuite mis au vote au Parlement, « avant la fin de la session de printemps » en juillet, avance le chef d’un parti de l’opposition.
Quel que soit le contenu de la réforme, sa ratification ne fait aucun doute : la précédente refonte du code de la famille, en 2004, avait été adoptée à l’unanimité par les deux chambres, marquant l’amorce d’une amélioration des droits des femmes marocaines.
Mais vingt ans après, « force est de constater que ses dispositions sont caduques », assurent Nouzha Chekrouni et Abdessalam Saad Jaldi, du centre de réflexion marocain Policy Center for the New South. Les chercheurs pointent un corpus juridique sous « l’emprise des subjectivités patriarcales », les transformations profondes de la société marocaine grossissant encore les « insuffisances » du texte.
Le mariage des mineurs fait débat
En attendant la présentation du projet de loi, les hypothèses vont bon train sur les changements qui pourraient être apportés au code actuel. « Rien ne filtre des choix qui ont été faits par la commission », répond un parlementaire de l’opposition, qui estime toutefois que la composition dudit comité laisse augurer une révision dont la portée sera « essentiellement technique ».
Si elle rassemblait quinze personnalités en 2004, dont près de la moitié relevait du ministère des affaires islamiques, l’instance ne comprend cette fois que six membres, dont un seul responsable religieux, deux femmes et un trio de juristes chargé de piloter la réforme : le ministre de la justice, le président du conseil supérieur du pouvoir judiciaire et celui du ministère public.
« Il n’y aura pas de grands principes généraux, comme ce fut le cas en 2004, mais davantage de clarté dans un texte qui manque de précisions et qui s’avère parfois même contradictoire », précise un avocat. Abondamment cité, le cas du mariage des mineurs fait débat. Bien qu’il en ait fixé l’âge minimum légal à 18 ans, le code de la famille autorise le juge à valider l’union d’une personne avant sa majorité. « Une brèche qui a donné lieu à des dérives juridiques », affirment Nouzha Chekrouni et Abdessalam Saad Jaldi.
Ce qui devait être exceptionnel est ainsi devenu la règle : selon le ministère de la justice, près de 320 000 demandes de mariage de mineurs, essentiellement des jeunes filles, ont été validées par les tribunaux marocains entre 2009 et 2018. Le nombre de ces autorisations a depuis baissé – quelque 13 000 en 2020 –, « mais il ne comprend pas les mariages coutumiers non déclarés », scellés par la simple lecture d’une sourate coranique, relève l’Observatoire national du développement humain (ONDH).
L’élargissement du champ du testament
Réclamée de longue date par les associations et plusieurs partis politiques, l’interdiction de ces mariages sera-t-elle adoptée ? Deux membres de la commission pourraient avoir plaidé en ce sens : le ministre de la justice, Abdellatif Ouahbi, et la présidente du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), Amina Bouayach, qui se sont dit, par le passé, favorables à leur abolition. Une autre interdiction, celle de la polygamie, dont 20 000 demandes d’autorisation ont été recensées entre 2017 et 2021, fait également consensus parmi les tenants d’une réforme « plus poussée ».
Le texte qui a été remis au roi n’a pas été rendu public, tout n’est donc que conjecture. Mais, selon plusieurs sources interrogées qui indiquent avoir eu accès au travail de la commission, les modifications les plus probables porteront sur la suppression de certains types de divorce, sur des aménagements concernant l’héritage des jeunes filles – lorsqu’elles sont les seules héritières – et sur l’élargissement du champ du testament.
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L’égalité en matière de tutelle parentale sera elle aussi probablement entérinée, puisqu’elle revient systématiquement au père après un divorce. Pour les enfants issus de relations extraconjugales, parfois abandonnés, la situation est plus problématique, car le code de la famille établit qu’ils ne peuvent prétendre ni à un lien de filiation ni au droit à la succession.
Concilier la future Moudawana et le code pénal
Auprès des militantes les plus âgées, comme Hafida El Baz, 62 ans, de l’Association marocaine de l’orphelin, l’optimisme est de rigueur, malgré « la lucidité de l’expérience ». « Il y a eu des progrès, c’est vrai, mais on pourrait avancer beaucoup plus vite pour protéger les milliers d’enfants qui sont concernés. On parle depuis 2004 de systématiser les tests ADN pour les pères présumés », regrette-t-elle. Dans un arrêt rendu en 2008, la Cour de cassation avait fermement écarté cette possibilité, en soulignant qu’« il n’est pas possible d’imposer au père une filiation hors mariage ».
L’obstacle le plus important à franchir est encore de parvenir à concilier la future Moudawana, ainsi que le code pénal qui interdit les relations sexuelles hors mariage, et les conventions internationales auxquelles le Maroc a souscrit. Dans son mémorandum publié le 26 mars, l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) protestait ainsi contre la « dualité » du discours de l’Etat.
« Au niveau national, il déclare son adhésion inconditionnelle au référentiel religieux et, devant la communauté internationale, nous constatons qu’il a ratifié les neuf conventions qui constituent le socle des droits de l’homme. Cela conduit à une insécurité judiciaire qui se manifeste par l’émission de jugements contradictoires, dont certains s’appuient sur des références religieuses et d’autres sur des références universelles », soulevait l’organisation.
La convention internationale des droits de l’enfant, notamment, pourtant ratifiée par le Maroc en 1993, reste en partie inappliquée. Tout comme la Constitution de 2011, dont le projet avait été approuvé par référendum à une écrasante majorité. Ses dispositions, qui prônent l’égalité entre hommes et femmes, comme celle des enfants, quelle que soit leur situation familiale, sont toujours lettre morte.