La victoire est sans appel pour Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye. Après le triomphe du second à l’élection présidentielle, il y a huit mois, le tandem exécutif au Sénégal est désormais en position de force à l’Assemblée nationale. Leur parti, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), a raflé les trois quarts des sièges (130 sur 165) lors des législatives anticipées du dimanche 17 novembre, selon les résultats provisoires. Un raz-de-marée qui offre au premier ministre, Ousmane Sonko, toute latitude pour appliquer un programme de « rupture » susceptible de donner quelques sueurs froides à l’opposition.
Dès mercredi, en conseil des ministres, le président Bassirou Diomaye Faye s’est félicité de l’ouverture de la « phase de rectification […] et de reddition des comptes », synonyme de traque pour ceux qui se sont enrichis illicitement sous les deux mandats de Macky Sall (2012-2024). Ces derniers mois, M. Sonko a multiplié les attaques et les insinuations sur les détournements de fonds publics et la gabegie financière révélée par des audits menés dans plusieurs ministères et administrations. D’après l’ancien inspecteur des impôts, ce sont par exemple près de « 1 000 milliards de francs CFA » (environ 1,5 milliard d’euros) qui auraient été découverts sur le compte bancaire d’un ex-dignitaire dont le nom n’a pas été révélé.
« Ces gens ont pillé, bradé des biens inaliénables de l’Etat du Sénégal, qu’ils ont offerts à leurs amis », soutient un proche du premier ministre.
Poursuites
Dans le viseur des autorités figure notamment Macky Sall. Installé au Maroc dans les heures qui ont suivi sa passation de pouvoir, l’ancien chef de l’Etat a tenté de revenir lors des législatives. Malgré sa position en tête de liste, il n’a engrangé que 16 sièges sur 165. Trop maigre pour s’assurer une protection politique alors qu’Ousmane Sonko a donné le ton lors d’une conférence de presse, en septembre, accusant M. Sall d’avoir « falsifié » le déficit budgétaire et caché la dette publique, qui s’élèverait à 76,3 % du PIB au lieu des 65,9 % annoncés.
A lui, à son premier ministre Amadou Ba (élu député) ainsi qu’à d’autres anciens ministres des finances (comme Mamadou Moustapha Ba, qui s’est donné la mort début novembre à Paris, selon les autorités françaises), il promettait des poursuites auprès de la Haute Cour de justice. « Quand elle sera installée, les gens sauront que l’on a des preuves de ce que l’on a dit, avec notamment des relevés de compte », a-t-il assuré à la télévision à la veille du scrutin.
Composée de seize députés et présidée par un magistrat, cette institution inscrite dans la Constitution n’a été utilisée qu’une seule fois, en 1962, dans le conflit opposant le président Léopold Sédar Senghor et son premier ministre Mamadou Dia. « Sous les mandats d’Abdoulaye Wade ou de Macky Sall, les membres de cette cour n’ont jamais été nommés. Sans doute car cela allait à l’encontre des intérêts des pouvoirs de l’époque », juge Alassane Ndao, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis.
Cette promesse de moralisation de la vie politique n’est pas inédite au Sénégal, mais elle a déjà montré ses limites. En 2012, Macky Sall, à l’entame de son premier mandat, avait ressuscité la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), avant que celle-ci ne soit décriée pour sa politisation. Seul Karim Wade, fils d’Abdoulaye Wade et rival de Macky Sall, avait été condamné en 2019 pour diverses malversations financières, l’écartant ainsi de la course à la présidentielle.
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« Le contexte n’est pas le même aujourd’hui, nuance Babacar Ndiaye, politologue au centre de réflexion Wathi. En son temps, Macky Sall devait poursuivre des personnes avec qui il avait cheminé. Le Pastef, qui n’a jamais gouverné, n’est pas pris dans ces liens. Pour autant, ce serait une erreur pour ses chefs de se focaliser uniquement sur la reddition des comptes. Le temps de la justice est long, or les populations attendent des réformes économiques pour améliorer leur quotidien. »
Dilemme
Pour le pouvoir, l’urgence absolue demeure le vote du budget 2025 avant la fin de l’année. Un défi au vu du calendrier. Après la validation des résultats, il faudra constituer le bureau de l’Assemblée, élire son président… avant de voter la loi de finances. Dans un contexte de déficit budgétaire estimé par les autorités à 10,4 % du PIB, la majorité présidentielle semble poussée à une réduction des dépenses publiques.
D’où l’idée de voter la fin du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT), dont la suppression avait été rejetée en septembre. « Pour le Pastef, ces instances ont alimenté durant des années le clientélisme en servant de point de chute pour les alliés des dirigeants successifs. Les supprimer, c’est économiser 15 milliards de francs CFA par an, ce qui n’est pas négligeable pour le budget 2025 », calcule Alassane Ndao.
Un autre obstacle se dresse sur la feuille de route budgétaire gouvernementale. Dans l’attente de la validation par la Cour des comptes des véritables chiffres du déficit public, le Fonds monétaire international (FMI) a suspendu le versement de son prêt de 1,9 milliard de dollars, laissant M. Sonko face à un dilemme : rogner sur les subventions énergétiques pour faciliter les futurs décaissements du FMI ou maintenir ses promesses de justice sociale ?
« Il paraît peu probable que le gouvernement lance un plan d’austérité strict. Il peut opter pour une majoration des tarifs de l’électricité sans risquer l’impopularité. D’autant que le Sénégal a par deux fois cette année obtenu des facilités pour s’endetter sur les marchés internationaux malgré ses difficultés économiques, analyse François Conradie, politologue chez Oxford Economics Africa. Quant au FMI, il peut se montrer moins intransigeant en raison du contexte géopolitique. Au vu des difficultés rencontrées par les Occidentaux en Afrique de l’Ouest, le Sénégal est un pays à ménager. »