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Au Sénégal, les nouvelles autorités face au défi de la régulation de la pêche

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Sur l’ensemble des promesses de rupture formulées par les nouvelles autorités du Sénégal, celle-ci concerne directement le quotidien de 600 000 de leurs compatriotes. Avant d’accéder au pouvoir, le nouveau président Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre Ousmane Sonko s’étaient engagés à rétablir la souveraineté alimentaire des Sénégalais.

Aux commandes depuis le 3 avril, les anciens opposants ont pris de premières mesures pour changer la donne dans le secteur de la pêche industrielle et mènent un combat sur un double front : renégocier d’ici à l’expiration fin novembre des seuls accords existants avec l’Union européenne et ses dix-neuf navires autorisés à pêcher dans les eaux locales ; mais surtout s’attaquer à ces chalutiers étrangers, chinois et turcs, qui, en passant sous pavillon sénégalais, se dégagent de règles plus contraignantes appliquées aux navires européens.

Symboles de la surpêche menée au large des côtes sénégalaises, ces chalutiers chinois Yuan Yu, en rade de Dakar depuis des semaines, ont fait leur apparition après le rapprochement entre les deux pays en 2005, sans qu’aucun accord dans le domaine de la pêche ne soit signé. Ces navires, dont l’immatriculation signifie « pêcherie lointaine » en mandarin, ont depuis envahi le littoral.

Les affréteurs se cachent derrière des sociétés mixtes de droit sénégalais, aujourd’hui dans le collimateur du gouvernement. Début mai, la publication attendue des licences accordées aux navires « nationaux » a révélé, selon des sources de haut niveau dans le secteur, la présence d’« au moins 46 bateaux chinois » dans les eaux territoriales.

Vaste audit annoncé du secteur de la pêche

« J’ai photographié des dizaines de ces bateaux chinois entre Dakar et Gorée depuis le début de l’année », confirme Mamadou Sarr. Le pêcheur a peu de doutes sur leurs intentions. « Ils viennent ici pour sénégaliser leurs bateaux, tonne celui qui est aussi à la tête de la coalition pour une pêche durable. Ils obtiennent une nouvelle immatriculation en montant des sociétés mixtes avec des prête-noms sénégalais pour piller nos ressources. »

Ce procédé légal destiné à permettre la domiciliation d’entreprises au Sénégal, très employé dans le secteur de la pêche industrielle, est aujourd’hui remis en cause par le nouveau pouvoir qui estime son objectif premier détourné par ces sociétés mixtes.

Prélude à un vaste audit annoncé du secteur de la pêche, le Sénégal a donc publié, le 2 mai, un document qui « redonne espoir » aux pêcheurs comme Mamadou Sarr : une liste de 132 « navires nationaux », dont des dizaines sont affrétées par des entreprises de pêche industrielle, détenues à 51 % par des parties sénégalaises. Des « faux nez des chalutiers chinois », dénonce Aliou Ba, responsable de la campagne Océan pour Greenpeace Afrique.

« Ce premier acte fort pour la transparence », Fatou Niang, trésorière du groupement des armateurs et des industriels de la pêche au Sénégal (Gaipes) et directrice générale d’une société à la tête de 18 chalutiers – tous sous licence – l’attendait depuis « au moins quatre ans ».

Des parcours de navigation qui interrogent

En mai 2019, elle avait cosigné avec l’ensemble des représentants du secteur une lettre ouverte au président Macky Sall lui enjoignant de publier les agréments accordés aux bâtiments étrangers. Parmi eux, une « quarantaine de navires, appartenant à des armateurs chinois pour la majorité », accusés de « piller » des stocks halieutiques comme « les sardinelles, les chinchards ainsi que des espèces de fond comme le merlu ».

« La liste, c’est un bon début », reconnaît Alassane Samba, océanographe biologiste longtemps rattaché au centre de recherche océanographique de Dakar-Thiaroye. « On doit maintenant savoir qui sont les propriétaires réels de ces navires, connaître les montages financiers et traquer d’éventuelles fraudes fiscales », énumère son collègue de l’IRD, Patrice Brehmer, également conseiller scientifique à la commission sous-régionale des pêches. « Des sociétés au capital extrêmement faible, c’est très suspect », ajoute-t-il, évoquant ainsi la probabilité de sociétés-écrans dans le tableau dévoilé début mai.

Dans un document consulté par Le Monde Afrique, la Socomi, l’une des sociétés mixtes officiellement agréées, sollicitait dès janvier 2023 le précédent ministre des pêches pour affréter dix navires aux noms chinois. Près d’un an et demi après, aucun d’entre eux ne naviguait dans les eaux du Sénégal, mais, d’après la liste officielle, la Socomi armait bien dix chalutiers aux noms modifiés.

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Des bâtiments dont les parcours de navigation interrogent. Selon le site de tracking des pêches de Global Fishing Watch, le Zhenyuanyu 813, parti en 2017 du port chinois de Dalian, est réapparu en 2022 au large de Pointe-Noire au Congo-Brazzaville avant de rejoindre un an plus tard Dakar et opérer durant quelques mois pour disparaître en novembre 2023 ; idem pour le Zhenyuyuan 823 naviguant une semaine entre fin mars et début avril du large de la Casamance à Dakar avant de s’évanouir en mer.

Des stocks de sardinelles en « surexploitation »

« Toutes ces trajectoires en apparence énigmatique démontrent que ces navires peuvent manipuler leur AIS, le système d’identification automatique », décrypte Bassirou Diarra de la fondation pour la justice environnementale. « Il faut rendre obligatoire l’AIS au niveau de l’Afrique de l’Ouest », renchérit Patrice Brehmer. Sans cette mesure de traçabilité en mer, on ne parviendra pas à lutter contre les navires chinois. »

La semaine suivant la publication des licences, les sanctions se sont multipliées contre l’une de ces sociétés mixtes : l’entreprise Baye Niass a vu la moitié de sa flotte arraisonnée au port de Dakar par la Direction de la protection et de la surveillance des pêches (DPSP) pour « pêche illégale ». En 2023, 19 navires avaient été arraisonnés sur les neuf premiers mois de l’année selon la DPSP.

« Encore trop peu », juge Aliou Ba, de Greenpeace. Aidée par un Falcon-50 des Eléments français du Sénégal – appui logistique « précieux » selon Bassirou Diarra – pour caractériser les délits de pêche, la surveillance sénégalaise peine à faire face à la pêche irrégulière. Les chiffres sont éloquents : « 2 250 contrôles et/ou inspections sur quai et en mer en 2023 », soit à peine une dizaine par jour pour contrôler une armada de près de 17 500 pirogues et des centaines de navires de pêche industrielle qui croisent au large du Sénégal sur une année.

Confortés par les engagements des nouvelles autorités, les services des pêches communiquent autour de leurs saisies : 30 tonnes d’alevins le 10 mai ; un « grand coup » en banlieue de Dakar quatre jours plus tard, avec « la saisie record de près d’une centaine de tonnes de larves de poissons ». Des opérations de lutte contre la surpêche mises en avant alors que les stocks notamment de sardinelles, très prisés au Sénégal, sont en « surexploitation de 192 % », selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

« C’est une situation d’effondrement qui nous menace », avertit Patrice Brehmer. Sur les sardinelles rondes – l’un des poissons préférés des Sénégalais utilisé pour le plat national le thiéboudiène –, l’état des ressources est jugé catastrophique par des scientifiques de la région. Et si rien n’est fait contre ces chalutiers étrangers pendant les quatre ou cinq ans qui viennent, prévient M. Brehmer, « c’est la mort annoncée non pas des petits pélagiques, mais des pêcheries ».

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