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Au Théâtre de la Bastille, à Paris, Salim Djaferi démêle les mots embrouillés de la « koulounisation »

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L’homme debout sur la scène, tel qu’on le découvre en entrant dans la petite salle du Théâtre de la Bastille, à Paris, s’acharne à démêler une grosse pelote de bolduc, ce ruban plat en plastique dont l’usage principal est de ficeler les paquets cadeaux. La tâche n’est pas facile, et pour cause : c’est bien un gros nœud dont il va s’agir ici de tirer les fils emberlificotés. Rien de moins que ceux de la colonisation de l’Algérie par la France, que l’auteur et acteur Salim Djaferi aborde par le biais d’une enquête linguistique passionnante, restituée sur scène en un savant cocktail d’humour, de charme et de gravité.

Tout est parti, raconte-t-il, du jour où il a demandé à sa mère, une Algérienne immigrée en France, comment on disait « colonisation » en arabe. « Koulounisation », lui a-t-elle répondu. Evidemment, Salim Djaferi a été un peu surpris. « N’y a-t-il pas un mot arabe pour le dire ? », s’est-il étonné. Et il a commencé sa quête, sur le fil tendu de l’histoire entre les deux pays, les deux rives de la Méditerranée. Il a d’abord consulté le dictionnaire, qui lui a appris que colonisation est traduit par « isti’ammar », qui est un dérivé du verbe « amaar », lequel signifierait « construire ».

Sauf que, selon les interlocuteurs qu’il rencontre ensuite, le verbe « amaar » peut avoir bien d’autres significations : « posséder » et même « posséder sans autorisation », « ordonner », au sens aussi bien de « commander » que de « mettre en ordre », ou « remplir ». « Après, tu peux remplir ce que tu veux. Tu peux remplir un village si tu veux. Mais il faut le vider avant. Tu vides et tu remplis : tu remplaces, en fait », précise l’homme, qui propose cette interprétation.

Réflexion sur l’effacement

Salim Djaferi découvre alors qu’un autre mot arabe existe pour traduire « colonisation ». Il a été inventé en 1963, un an après l’indépendance de l’Algérie, par les traducteurs des Damnés de la terre (Maspero, 1961), l’essai de Frantz Fanon sur les guerres de libération. Lesquels traducteurs ont refusé le mot « isti’ammar », qu’ils ont jugé mensonger. Ils ont proposé à la place « istidammar », un dérivé du verbe « dammar », qui, en arabe, veut dire « détruire ».

Ainsi le jeune comédien dévide-t-il sa pelote, de surprise en surprise, en convoquant sur le plateau un autre langage, plastique, celui-là : à l’aide de plaques de polystyrène, il agence à vue de petites constructions qui disent l’enfermement ou la destruction. Ou met en scène, avec une vraie-fausse spectatrice invitée dans le jeu, les différences de point de vue à l’aide d’une éponge et d’une bouteille. La question de ce que la colonisation fait au langage − ou l’inverse − se pose, encore, dans ce passage de « colonisation » à « koulounisation », et dans les divers termes qui ont été utilisés, d’une rive et d’une époque à l’autre, pour définir la guerre d’Algérie : « événements algériens », « guerre de libération nationale » ou « révolution algérienne ».

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