Home Monde Aux Comores, deux jeunes femmes accusées d’avoir voulu contracter un « mariage contre-nature »

Aux Comores, deux jeunes femmes accusées d’avoir voulu contracter un « mariage contre-nature »

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La dernière fois qu’Issoufou Bamou a vu sa fille, elle était emmenée sans ménagement par des gendarmes avec une amie. Accusées d’avoir eu l’intention de se marier chez un juge religieux, les deux Comoriennes âgées d’une vingtaine d’années ont passé quatre jours en garde à vue avant d’être incarcérées, samedi 8 juin, à la maison d’arrêt de Moroni. Selon le procureur de la République, Ali Mohamed Djounaid, elles sont poursuivies pour « des faits d’actes à caractère sexuel contraires aux bonnes mœurs et contre-nature ». « Tout ça pour une rumeur », se désole Issoufou Bamou, installé dans un village à quelques kilomètres au sud de la capitale. Il ne comprend toujours pas de quoi sa fille est accusée.

Sans être explicitement inscrite dans la loi, la condamnation de l’homosexualité est presque unanime aux Comores, archipel de plus de 860 000 habitants très majoritairement musulmans. L’article 300 du code pénal prévoit une peine comprise entre six mois et deux ans de prison ferme, assortis d’une amende, contre les personnes reconnues coupables de pratiques « contre-nature ».

En arrêtant les deux jeunes femmes, la justice comorienne « souhaite manifestement faire un exemple », souligne l’avocate Maliza Said Soilihi. D’autant que l’affaire rappelle celle du mariage d’une Franco-Comorienne et d’une Réunionnaise le 25 mai à Mayotte. L’union, légale dans le département français distant de 70 km des Comores – qui en revendiquent toujours la souveraineté –, avait scandalisé dans l’archipel. « Cette histoire a créé une forme de paranoïa », constate Hasbat Saïd-bacar, sociologue.

Mais que s’est-il réellement passé dans le village où vivaient les jeunes femmes arrêtées début juin ? Le cadi, juge coutumier, est formel : « Personne ne m’a contacté pour un mariage entre personnes de même sexe et je n’ai jamais contacté la gendarmerie, contrairement à ce que dit la rumeur. » Le religieux, que Le Monde a pu interroger, assure avoir eu connaissance de l’histoire le jour de l’arrestation des jeunes femmes par un « lieutenant » venu lui demander s’il avait été approché pour célébrer « un mariage contre-nature ».

Une relation « fraternelle »

D’après le procureur de la République, l’affaire aurait commencé « sur une place publique ». Un villageois, écoutant des passants s’indigner du mariage célébré à Mayotte, aurait affirmé qu’« à quelques pas, deux filles s’apprêtaient à faire la même chose ». Puis la machine se serait emballée.

« En plus des dépositions faites par les deux jeunes filles, il y a d’autres éléments justifiant les actes à caractère sexuel contraires aux bonnes mœurs et contre-nature », indique le communiqué du parquet. Mais pendant leur garde à vue – qui a duré quatre jours au lieu des quarante-huit heures permises par la loi – et lors de leur première comparution devant le juge d’instruction, les prévenues n’étaient pas assistées par un avocat.

Selon leurs proches, les deux jeunes femmes sont devenues amies en jouant au football. « Leur relation était fraternelle », assure Issoufou Bamou. Si elles vivaient ensemble, c’est parce que l’amie de sa fille, en conflit avec ses parents, avait besoin d’un toit et qu’il l’a hébergée quelque temps. Ce n’est que le 3 juin, la veille de leur arrestation, que le père de famille a appris qu’elles étaient soupçonnées d’être lesbiennes. « Quand tout cela sera fini, nous ferons une grande prière pour nous laver et maudire ceux à l’origine de cette rumeur », prévient-il.

Dans le village, la « culpabilité » des deux femmes fait peu de doute malgré l’absence de preuves. « L’une était vêtue d’une robe ample et l’autre s’était habillée en garçon, en survêtement avec une casquette vissée sur le crâne. Et là j’ai compris », témoigne un passant. Un autre s’emporte : « Vraie ou fausse, c’est une correction nationale pour les adeptes de ces pratiques sataniques. Nous ne serons jamais comme les Français ! »

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