Dans les couloirs du palais présidentiel, à Dakar, des conseillers du chef de l’Etat Bassirou Diomaye Faye le taquinent en le surnommant « maître », en référence au vocabulaire religieux. Directeur des moyens de la présidence, Cheikh Oumar Diagne encadre des dizaines d’employés en charge de l’intendance du palais.
C’est aussi un intellectuel musulman, qui a écrit un long livre, L’Herméneutique du rêve, un domaine important de la spiritualité islamique. Enfin, c’est un abonné aux polémiques, sous le feu des critiques de l’opposition depuis plusieurs semaines. Au point que certains se demandent s’il n’est pas devenu une épine dans le pied du président.
L’intéressé n’hésite pas à accorder un entretien et reçoit dans son appartement modeste, dans un quartier résidentiel de Dakar, à une bonne heure du palais, où il travaille quotidiennement. Dans son salon blanc et doré, il s’installe sans se départir de son habar kada, un chapeau traditionnel du Nigeria. « J’aime tout ce qui vient d’Afrique, du Maroc au Congo », sourit-il.
Depuis le début du mois de septembre, M. Diagne est la cible de critiques venant des communautés mouride et tidjane, deux puissantes confréries soufies au Sénégal. En cause : ses propos selon lesquels les écrits de grandes figures confrériques comme Cheikh Ibrahima Niass ou El Hadji Malick Sy sont discutables et peuvent être soumis à la critique. Depuis, des membres de ces confréries demandent le limogeage de l’intéressé et menacent d’organiser des manifestations à Dakar.
« Il a blessé des gens dans les confréries »
En août, des marabouts s’étaient déjà agacés que la présidence ait refusé des frais de dernière minute pour loger des invités pour le grand Magal de Touba, le pèlerinage annuel de la confrérie mouride. A l’époque, M. Diagne avait justifié sa décision par une rationalisation des dépenses du palais. De quoi lui valoir d’être accusé d’entretenir des vues salafistes anti-soufies.
« Je suis soufi, se défend-il. Je vais à Fès en ziyara [en arabe, le terme désigne les pèlerinages sur les tombeaux de saints] rendre hommage à Cheikh Tijani, le fondateur de la Tijaniya », une confrérie à laquelle son père était affilié avant lui. Mais il revendique haut le droit de débattre avec les marabouts et de discuter « de l’œuvre terrestre et humaine des figures des confréries ».
« Il a blessé des gens dans les confréries. Certaines choses qu’il dit sont acceptables, mais il y a aussi une question de manière de faire, de méthode », explique Cheikh Gueye, chercheur et disciple du mouridisme. Sans se départir de sa bonhomie, citations religieuses et savantes à l’appui, M. Diagne assume ses positions et ses propos, rares au Sénégal.
« On aime ou on n’aime pas Cheikh Oumar Diagne, mais il a une influence et il représente quelque chose de nouveau. Avant, il y avait les intellos laïcs d’un côté et les marabouts de l’autre. Lui est un religieux qui ose parler librement des confréries et débat avec les laïcs », confie un écrivain renommé sous le couvert de l’anonymat.
Ses saillies lui valent des soucis avec la justice
Adepte des plateaux de télévision et de radio, maîtrisant les codes des réseaux sociaux, M. Diagne s’est forgé une petite notoriété ces dernières années. En 2015, il monte un petit parti, le Rassemblement pour la vérité. Le premier ministre Ousmane Sonko, alors opposant, est présent à la cérémonie de lancement. Les saillies de Cheikh Oumar Diagne lui valent rapidement des soucis avec la justice.
En 2022, moins subtil lorsqu’il s’agit de questions de mœurs que d’exégèse religieuse, il accuse un député du camp du président Macky Sall d’être à la solde d’un prétendu « lobby LGBT », surfant sur la vague d’homophobie à travers le pays. Accusé de diffamation, il est incarcéré.
En 2024, alors que les manifestations contre l’ancien chef de l’Etat battent son plein, il est de nouveau arrêté, comme de nombreux opposants, pour des motifs imprécis. Détenu à la prison du Cap Manuel, à Dakar, il fait la connaissance d’un certain Bassirou Diomaye Faye. L’actuel président dort alors dans la cellule mitoyenne. « Il m’a fait forte impression. Je me suis décidé à soutenir sa campagne dès que nous serions libérés », sourit M. Diagne. Quelques semaines après sa sortie de prison, M. Diomaye Faye entre au palais.
L’opposition ne le lâche plus
Se retirerait-il s’il nuit à l’image du chef de l’Etat ? « Sans hésiter. Je l’ai rejoint car je crois en lui et en son projet. Je me retirerais si je sentais que je peux desservir l’un ou l’autre », lâche-t-il, levant la main comme pour jurer.
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L’opposition ne le lâche plus. Lorsqu’il propose que le palais présidentiel soit doté d’une mosquée, Moustapha Diakhaté, ancien député de la majorité présidentielle, attaque des « propos islamistes et réactionnaires ». « Je pensais à une simple salle de prière pour les employés du palais », sourit M. Diagne. Avant de renchérir : « Et je n’ai rien contre le qualificatif d’islamiste. Je pense par exemple qu’il faut créer des tribunaux religieux à côté des tribunaux laïcs, afin que chaque citoyen puisse avoir affaire à la justice de son choix. » Et si M. Diagne ne dit rien, ses détracteurs trouvent dans des vidéos vieilles de quoi l’attaquer. Certains, pour renforcer la dénonciation de son irresponsabilité, ont ainsi exhumé ses propos selon lesquels l’ancien roi du Maroc Hassan II était franc-maçon.
Au palais, l’entourage du président balaie les critiques d’un revers de main. « L’opposition cherche à nuire au président et cherche des angles d’attaque. Il en est devenu un », murmure-t-on au Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), le parti présidentiel.