Dans l’est de la RDC, les revers de l’armée plongent Goma dans l’insécurité

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Chaque matin, Goma émerge en recensant les drames de la veille. Cernée par les combats qui opposent l’armée régulière aux insurgés du Mouvement du 23-Mars (M23) épaulés par l’armée rwandaise, la grande ville de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) fait face à une explosion de l’insécurité.

Mercredi 10 avril, une fusillade a eu lieu dans un quartier résidentiel habituellement préservé des violences. En plein après-midi, à l’heure de pointe, au moins trois personnes qui circulaient en Jeep – le fils d’un commerçant grossiste de ciment, son garde du corps et une jeune femme – ont été froidement abattues au niveau du carrefour « Entrée président », à deux pas du cabinet du gouvernorat. Dès le lendemain matin, les armes qui auraient servi à l’attaque ont été exhibées à la mairie, dont un modèle de fusil d’assaut spécifique utilisé par la garde républicaine.

Les Forces armées de la RDC (FARDC) sont régulièrement accusées, ces dernières semaines, d’assassinats ou de braquages. Mais cette fois, la police a réagi en annonçant, dès le lendemain de la tuerie, l’arrestation de trois soldats et deux « wazalendo » (« patriotes », en swahili), des miliciens, pour certains criminels de guerre, aujourd’hui alliés de Kinshasa. Dans une autre affaire, un membre de la garde républicaine a été condamné à mort par un tribunal militaire quatre jours après le meurtre d’un civil dans un restaurant de Goma. Une célérité rare de la part des forces de l’ordre et de la justice.

Bourgade fantôme

Il est désormais courant de voir des hommes en armes dans les rues de la capitale du Nord-Kivu. Les défaites accumulées face au M23 et les « replis stratégiques » qui ont suivi ont obligé les troupes régulières et les wazalendo à se retrancher dans et aux abords de la ville. Ces soldats voisinent avec les civils depuis « l’effondrement du front de Sake », mi-février, reconnaît le général major Peter Cirimwami, qui gouverne la province placée depuis deux ans sous état de siège, un régime sécuritaire spécial où l’armée a les pleins pouvoirs.

Longtemps considérée comme le dernier rempart avant Goma, Sake est aujourd’hui une bourgade fantôme. A l’approche du M23, les dizaines de milliers d’habitants ont fui cette localité, des ballots d’affaires sur la tête. Dans le centre-ville, la plupart des positions de l’armée régulière ont été laissées entre les mains de wazalendo. Même les casques bleus indiens, déployés autour de Sake pour empêcher la progression du M23, ont abandonné leurs bases le 4 avril contre l’avis de leur hiérarchie, selon un document interne de la mission de maintien de la paix des Nations unies, la Monusco, consulté par l’AFP. Depuis, les rebelles ont atteint la périphérie nord de Sake.

Le 6 avril, des tirs de mortiers, dont l’origine n’a pas été déterminée, ont tué trois militaires tanzaniens et blessé trois autres soldats de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) envoyés pour appuyer Kinshasa dans sa lutte contre le M23. Les insurgés ont été aperçus dans le Parc national des Virunga par la société civile locale et menaceraient de « couper la route Goma-Sake », selon l’ONU.

Long d’une vingtaine de kilomètres, l’axe qui relie les deux villes est le seul encore sous l’autorité des forces gouvernementales. Tous les autres accès à Goma sont passés sous le contrôle de la rébellion, qui administre désormais un proto-Etat à cheval sur les territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo. Depuis que le M23 a repris les armes, fin 2021, il n’en finit plus de grignoter du terrain et de se rapprocher du chef-lieu du Nord-Kivu, où les armes prolifèrent.

« Vols » et « pillages »

Au Lac Vert, un quartier de Goma à proximité des lignes de front, on croise de nombreux combattants pro-Kinshasa, AK-47 en bandoulière et parfois canif en baïonnette, notamment au milieu des débits de boissons. Francklin Tumusifu cache une entaille encore profonde au bras gauche, sous sa veste de jogging orange vif. Le jeune militant des droits humains a été blessé au couteau par un soldat de l’auditorat militaire, le tribunal de l’armée, alors qu’il s’opposait à une tentative de racket. « Chaque jour, on recense des vols, des pillages. Chaque jour, on entend les balles siffler », déplore-t-il.

Les calmes bananeraies qui bordaient le lac Kivu sont devenues des camps surpeuplés pour les familles en fuite. Environ un million de personnes vivent en périphérie de Goma, entassées dans des huttes branlantes construites à la hâte par des déplacés hagards. « Nous sommes à bout », témoigne l’un d’eux, sous le couvert de l’anonymat, évoquant le harcèlement quotidien des « hommes armés ». Une nette hausse du nombre de victimes de violences sexuelles prises en charge par Médecins sans frontière (MSF) a également été enregistrée en mars dans les sites de déplacés à l’ouest de Goma.

« La guerre, la concentration de déplacés qui ont tout perdu, le chômage et la mauvaise gestion des unités militaires et de leur armement expliquent l’explosion de l’insécurité », résume Marrion Ngavo, président des Forces vives de la société civile de Goma, un regroupement d’associations citoyennes. Les autorités assurent que des mesures ont été prises pour « la quiétude de la paisible population », mais les soldats de l’armée congolaise continuent d’errer en ville. Leurs alliés miliciens, livrés à eux-mêmes, n’ont pas de casernes d’affectation, malgré l’interdiction de « déambuler sans autorisation » édictée le 2 avril par l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS), l’un des groupes armés les plus actifs.

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« Celui qui vient du front, qui n’a pas de ration, avec son arme, que fait-il la nuit ? », s’interroge Marrion Ngavo, qui déplore le manque de suivi des membres de groupes armés. Dans une interview accordée au Monde fin mars, le président Félix Tshisekedi concédait que ces « patriotes wazalendo » étaient « des civils sans formation ». Selon plusieurs rapports de l’ONU, ils reçoivent pourtant des armes et des munitions du gouvernement congolais.

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