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En Afrique subsaharienne, l’exode des soignants

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A part le vrombissement du ventilateur, pas un bruit ne vient troubler ce cours de troisième année consacré au diabète. Stylo et cahier en main, sur leur petit bureau individuel, une cinquantaine d’étudiants écoutent religieusement le formateur malgré la touffeur qui enveloppe ce jour-là Dakar. Ces futurs infirmiers font partie des 800 élèves de l’Institut santé service (ISS), une école privée installée dans une maison à plusieurs étages de la capitale sénégalaise, qui forme aussi sages-femmes, biologistes et techniciens de laboratoire. Une fois obtenu leur diplôme de licence, bon nombre iront se spécialiser ou directement travailler loin du Sénégal.

« Ces trois dernières années, nous avons eu beaucoup d’étudiants qui sont partis », affirme Badiane Kowry Sow, la directrice générale, depuis son bureau situé une volée de marches plus bas. « Il y a un très grand exode, surtout des infirmiers », ajoute-t-elle, soulignant que, pour ces derniers, la durée de la formation est la même que dans les pays développés, soit trois ans (quand il faut cinq années d’études pour être sage-femme). Sitôt diplômés, ses élèves − des Sénégalais mais aussi de nombreux ressortissants de pays voisins − sont donc immédiatement « recrutables » à l’étranger.

En Afrique subsaharienne, le départ des soignants, notamment des infirmiers, est un phénomène connu. Vers le Royaume-Uni et l’Amérique du Nord, pour les anglophones (Nigérians, Ghanéens, Zimbabwéens notamment) ; vers la France et le Canada, pour les francophones (Sénégalais, Béninois entre autres).

Des spécialisations meilleures et plus nombreuses

Et ce, alors que car le taux de soignants par habitant est déjà très faible en Afrique. La situation n’est certes pas uniforme (largement meilleure en Afrique australe, moins bonne en Afrique centrale) mais très éloignée des ratios, par exemple, européens. Pour rester sur les mêmes exemples, la densité d’infirmiers et de sages-femmes était en 2020 de 2,9 pour 10 000 habitants au Bénin et de 3,5 au Sénégal, loin des 122 enregistrés en France, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette inégalité se retrouve aussi chez les médecins (31,7 pour 10 000 habitants au Royaume-Uni contre 3,9 au Nigeria, toujours selon l’OMS).

L’exode se nourrit de plusieurs facteurs. Pour les soignants, il y a l’appel de meilleurs salaires (les infirmiers et sages-femmes de l’ISS peuvent espérer 200 000 à 300 000 francs CFA à leur sortie, soit environ 300 à 450 euros), mais aussi les spécialisations, meilleures et plus nombreuses, ou encore les conditions de travail.

« Si j’avais le choix, je choisirais l’Occident », explique Boukar Léonard Robndoh, un médecin tchadien exerçant au Sénégal, qui dit passer 80 % de son temps « à gérer des aspects qui n’ont rien à voir avec la médecine », comme trouver une ambulance. Retourner au Tchad ? Encore moins, dit-il, évoquant « les journées sans électricité » et « le climat sociopolitique ». Les Etats, même s’ils portent le coût social mais aussi financier de ce phénomène, sont quant à eux bien en peine d’offrir suffisamment de postes.

Le Covid a aggravé la tendance, en gonflant considérablement la demande des pays développés. L’OMS relève pas moins de 115 000 soignants décédés du virus entre janvier 2020 et mai 2021 dans le monde, et beaucoup plus encore ont quitté le secteur après des burn-out ou des dépressions. Ces derniers sont donc devenus une main-d’œuvre hautement prisée, pour laquelle les pays riches ont assoupli leur politique migratoire. Fin janvier, dans le cadre de la loi « immigration », la France par exemple a créé une nouvelle carte de séjour dédiée aux professions médicales. Selon la presse locale, l’immigration zimbabwéenne au Royaume-Uni, principalement des soignants, a progressé de 1 500 % entre 2019 et 2022.

« Opportunités »

L’OMS, dirigée par l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, s’est alarmée de cette situation en établissant une liste rouge de 55 pays, principalement africains, en situation de déficit critique. Elle alerte, sans grand succès, les pays riches sur l’impact de leurs recrutements dans les régions listées, et promet d’aider ces derniers à améliorer leur système de santé. Un défi face au manque de moyens.

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Face au flux, certains Etats tentent quand même de trouver une parade. Soit par l’offre, comme au Sénégal, où des efforts ont été faits ces deux dernières années pour ouvrir des masters spécialisés, ce qui permettra peut-être de « freiner » certaines velléités, note la directrice de l’ISS, Mme Sow. Soit par la contrainte, en adoptant des réglementations plus sévères. Début 2024, le Nigeria, qui selon son association des infirmières et sages-femmes a perdu 75 000 de ses actifs en cinq ans, a annoncé entre autres mesures un moratoire de deux ans entre le diplôme et un possible départ à l’étranger − provoquant la colère dans le secteur.

Mais il serait erroné de considérer que tous les Etats africains voient ce phénomène d’un mauvais œil. Le Kenya, par exemple, a signé des accords bilatéraux avec le Royaume-Uni pour y envoyer des infirmières. Une façon pour les autorités de répondre à leur incapacité à « absorber » les quelque 7 500 personnes diplômées chaque année, estime Lina Mwita, formatrice dans cette discipline à l’université de l’ONG médicale Amref, à Nairobi.

Certes, les hôpitaux manquent d’infirmières, mais en raison des créations limitées de nouveaux postes, beaucoup sont aussi sans emploi. « Elles ne vont pas juste rester là parce qu’elles sont kényanes et patriotes, elles cherchent des opportunités pour faire progresser leur carrière », souligne la professeure, qui réfute dans ce contexte l’expression de « fuite des cerveaux ».

A Dakar, pendant que se poursuit le studieux cours sur le diabète, la soutenance de mémoire de deux étudiants s’achève à un autre étage, sous le regard plein de fierté de leurs familles endimanchées. En longue robe bleu nuit et toque de rigueur, Mamadou Lamine Tamba se voit, avec sa camarade, présenter les félicitations du jury. Ce jeune Sénégalais s’étonne qu’on le questionne sur son envie d’aller à l’étranger. « Il faut découvrir, il faut voyager, s’agace-t-il quelque peu. Moi, je veux voir comment fonctionnent les infirmiers en Europe, aux Etats-Unis, partout. Vous, vous voyagez bien non ? Pourquoi pas nous ? »

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