Home Monde En Algérie, des militantes déplorent les carences de l’Etat face aux féminicides

En Algérie, des militantes déplorent les carences de l’Etat face aux féminicides

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Nouara, 82 ans, tuée à coups de barre de fer par son petit-fils, le 6 octobre. Malak et Imane, deux sœurs de 18 et 26 ans, tuées à coups de couteau, le 25 septembre, par leur père qui avait déjà assassiné leur mère quinze ans plus tôt. Malika, 32 ans, battue à mort par son mari le 20 septembre… D’après le collectif Féminicides Algérie, qui se base sur les cas relayés par la presse, 38 féminicides ont été commis en Algérie depuis le début de l’année. Un chiffre qui serait largement sous-estimé tant ces crimes sont occultés. Il y a un an déjà, l’organisation avait publié un rapport selon lequel au moins 261 femmes – dont la moitié étaient mères de famille – avaient été victimes de féminicide dans le pays depuis 2019.

Malgré des amendements introduits dans le code de la famille en 2005 – notamment la suppression de la disposition du « devoir d’obéissance de l’épouse » – puis l’adoption d’une loi sur les violences conjugales et le harcèlement de rue en 2015, le problème reste entier. « Si les lois étaient correctement appliquées, les chiffres des féminicides cesseraient d’augmenter, juge l’avocate Feriel Khelil, membre du réseau Wassila-Avife, une association qui lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants. La loi sur les violences conjugales de 2015 aurait dû marquer un tournant décisif, mais on n’a pas dépassé le stade de l’écrit. »

L’un des moments les plus critiques pour les femmes est lorsqu’elles tentent de se séparer de leur conjoint violent. Aouicha Bekhti, avocate et militante, relève ainsi que « la plupart des femmes tuées récemment avaient demandé le divorce ». Les menaces de mort qui s’ensuivent sont des signaux d’alarme, mais ils sont souvent ignorés. « Les hommes algériens perçoivent la demande de divorce comme un déshonneur insupportable », poursuit Aouicha Bekhti. Selon elle, il est urgent d’adopter une loi-cadre sur la protection des femmes, comme celle mise en œuvre en août 2017 en Tunisie, où les cas de féminicides ont diminué.

Les risques sont aussi aggravés par l’absence de mesures d’éloignement et de protection adéquates pour les femmes qui portent plainte contre leur conjoint. « Souvent, les forces de sécurité et les institutions encouragent les femmes à retourner au domicile conjugal même lorsque la violence y règne. Cela conduit directement au féminicide », déplore Fériel Khelil, qui plaide pour la mise en place de dispositifs de protection immédiate afin d’éviter que la victime ne soit renvoyée dans un environnement dangereux.

« Clause du pardon »

Les militantes féministes déplorent également des carences au niveau législatif. Elles dénoncent notamment la « clause du pardon », une disposition du code pénal qui prévoit que l’action civile s’arrête si la femme pardonne à son agresseur. Cette clause « favorise l’impunité », déplore Wiame Awres, fondatrice du collectif Féminicides Algérie.

« Le pardon est un acte moral, il n’a pas sa place dans un texte de loi pénal », abonde Aouicha Bekhti. Selon elle, cette clause doit être revue pour que les agresseurs soient jugés en conséquence de leurs actes, sans possibilité de contourner la justice. Alors que les forces de l’ordre et les juges incitent souvent les femmes à pardonner pour maintenir une unité familiale, « la protection des femmes doit l’emporter sur celle de l’institution familiale », estime Feriel Khelil.

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En Algérie, les structures d’accueil pour les femmes en détresse sont rares. Le pays ne compte que cinq centres d’hébergement pour femmes seules, et aucun pour celles avec enfants, les contraignant souvent à retourner dans des foyers où la violence persiste. Quant aux policiers et aux gendarmes, ils ne sont pas formés et dissuadent souvent les victimes de porter plainte en les renvoyant dans la sphère familiale.

Le réseau Wassila-Avife propose des services d’écoute et d’accompagnement juridique, mais ses ressources restent insuffisantes. « Nous avons une ligne d’écoute où les femmes peuvent appeler et être soutenues par une psychologue et une juriste, indique Saadia Gacem, réalisatrice et bénévole à l’association. Nous leur expliquons qu’une claque ou une insulte peut être le début d’un cycle de violence qui pourrait aboutir à un féminicide. Notre rôle est de les informer sur leurs droits et de les accompagner dans les démarches judiciaires, sociales et médicales. Mais cela ne suffira pas sans des réformes en profondeur et une véritable prise en charge des menaces que ces femmes subissent. »

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Pour les militantes féministes, la solution ne viendra que d’une transformation des mentalités. Aouicha Bekhti insiste sur l’éducation à l’égalité entre les sexes dès le plus jeune âge. « La femme ne doit plus être vue comme une possession de l’homme », conclut-elle.

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