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En Côte d’Ivoire, la société civile dénonce des entraves à la liberté de réunion

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Avec l’ambition affirmée de lutter plus efficacement contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, le gouvernement ivoirien a adopté, le 12 juin, une ordonnance encadrant l’activité des organisations de la société civile (OSC). Objectif officiel : s’assurer que leurs modes de fonctionnement soient compatibles « avec les exigences actuelles de la lutte contre la criminalité transnationale organisée », explique le ministère de l’Intérieur.

Ce texte remplace la loi de 1960 qui régissait jusqu’ici les OSC, le ministère de l’intérieur jugeant cette dernière obsolète et incomplète sur plusieurs points. Il cite notamment « l’absence de dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive », ou encore le manque de « sanctions claires pour les cas de violation des obligations pesant sur les associations ».

Présentés comme un moyen de favoriser un meilleur « apport des associations au développement socio-économique » de la Côte d’Ivoire, les 135 articles de cette ordonnance prévoient notamment des peines de prison et des amendes, voire la dissolution des OSC, en cas de non-respect de la nouvelle réglementation.

« Une ordonnance ne vaut pas loi »

Face à ce qu’elles considèrent comme une entrave à la liberté de réunion, cinq organisations ont annoncé le 19 août avoir saisi la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les droits humains, Mary Lawlor, à Genève. Parmi les OSC contestataires figurent l’Observatoire ivoirien des droits de l’homme (OIDH), l’association d’éducation à la citoyenneté Civis Côte d’Ivoire ou encore le collectif Alternative citoyenne ivoirienne, présidé par Pulchérie Gbalet, une figure de la société civile proche de l’opposition et incarcérée à deux reprises entre 2020 et 2023.

La dizaine de griefs exprimés contre ce texte concernent autant la forme que le fond. En premier lieu, le choix de passer par une ordonnance, un instrument de l’exécutif, et non par un projet de loi soumis au Parlement. « Selon l’article 101 de la Constitution, toute décision de l’Etat qui affecte des libertés fondamentales doit faire l’objet d’une loi. Or cette ordonnance a un impact sur la capacité des OSC à se réunir et exercer leurs fonctions. Et une ordonnance ne vaut pas loi », prévient Christophe Kouamé, président de Civis.

De son côté, le ministère de l’intérieur explique sa décision d’émettre une ordonnance par un impératif de rapidité : « L’adoption de ce texte répond à des questions d’urgence liées aux besoins pressants exprimés par les OSC », affirme-t-il.

Les organisations, dont certaines reçoivent des subventions en provenance de l’étranger, redoutent également qu’au nom de la lutte contre la criminalité transnationale, l’administration puisse s’immiscer dans leurs comptes. « Les OSC sont désormais tenues de présenter un rapport d’activité annuel, même celles qui ne perçoivent pas de subventions publiques. L’ordonnance permet même à l’administration de nous demander des rapports spéciaux sur chaque projet en cours. C’est une manière de faire pression sur les associations qui auraient une ligne divergente du gouvernement », dénonce Eric-Aimé Semien, président de l’OIDH.

Saisir le Conseil constitutionnel

Enfin, les cinq associations dénoncent l’impossibilité de recours en cas de dissolution. Alors que le texte permet l’arrêt des activités d’une OSC par décret, Christophe Kouamé déplore « l’absence de possibilité, pour l’association dissoute, de se réunir même avec un avocat pour préparer un recours », tandis qu’Eric-Aimé Semien estime que « le pouvoir de dissoudre une association devrait être la prérogative d’un juge ». L’ordonnance prévoit entre un et trois ans d’emprisonnement, ainsi qu’une amende de 300 000 à 3 millions de francs CFA (de 457 à 4 573 euros) pour « les membres d’une OSC qui se serait maintenue où reconstituée illégalement après une décision de dissolution ».

Le ministère de l’intérieur garantit que les OSC pourront contester devant la justice leur dissolution et que l’étendue de leurs droits fera ultérieurement « l’objet d’un texte spécifique, compte tenu du fait que l’ordonnance n’avait pas vocation à traiter cet aspect ». En attendant, l’OIDH, Civis et leurs trois alliés planifient plusieurs actions pour amener le gouvernement à retirer cette ordonnance.

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D’abord, ils comptent mener campagne auprès des députés après la rentrée parlementaire, le 1er octobre, pour les empêcher de voter la mise en application du texte. Car si celui-ci a d’ores et déjà été publié au Journal officiel, il doit encore faire l’objet d’un vote de ratification au Parlement pour être appliqué. Les cinq OSC prévoient ensuite de saisir le Conseil constitutionnel afin de convaincre sa présidente de casser cette ordonnance au profit d’une loi.

Si ces deux étapes s’avéraient infructueuses, les organisations mobilisées espèrent que la saisine effectuée auprès de la rapporteuse spéciale de l’ONU poussera l’Etat à retirer son texte. Elles misent pour cela sur le fait que leur requête doit être comptabilisée dans le prochain examen périodique universel du pays (EPU), prévu du 4 au 15 novembre. Ce bilan onusien, qui a lieu tous les cinq ans, a pour but d’effectuer un état des lieux de la situation des droits humains dans un pays et de lister des recommandations. En prévision de cet examen, la section ivoirienne de l’ONG Amnesty International a rédigé une note dans laquelle elle exprime « sa préoccupation face aux restrictions du droit de réunion pacifique ».

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